Négligence, manque de discernement, absence d'empathie… Le comportement des opérateurs téléphoniques du 15 suscite un tollé après la mort de Naomi Musenga, dont l'appel au Samu du Bas-Rhin n'a pas été pris au sérieux. Une enquête administrative et une enquête de l'inspection générale des affaires sociales ont été diligentées pour établir les responsabilités, mais il ressort de l'enregistrement de l'échange entre l'opératrice et la jeune femme de 22 ans, le 29 décembre dernier, la brutalité de la première, et la détresse de la seconde.
"Nous sommes fort heureusement dans un épisode rarissime", a déclaré le directeur général des hôpitaux universitaires de Strasbourg. Mais plusieurs professionnels mettent en avant le manque de moyens accordés à l'hôpital public et aux urgences comme facteur du problème.
40,8 degrés de fièvre, mais pas de secours. Le cas de Naomi Musenga, bien que rare, n'est pourtant pas isolé. Il rappelle notamment celui très récent de Lissana. Cette petite fille de trois ans est morte d'une grippe à Aix-les-Bains dans la nuit du 29 au 30 janvier derniers. Dans cette affaire, la responsabilité du médecin régulateur du Samu est pointée du doigt. La veille du drame, Lissana est diagnostiquée d'une grippe par un généraliste. Le lendemain, elle se trouve dans un état semi-comateux, et sa fièvre monte à 40,8 degrés. Tard dans la nuit, sa mère compose le 15, mais le professionnel de santé réfute le caractère urgent de la situation. L'appel dure huit minutes. Désemparés, les parents décident de conduire la fillette aux urgences, où elle succombe une heure plus tard. La famille de Lissana a depuis porté plainte contre le Samu, qu'elle accuse d'un grave manque de réactivité. Le dossier est en cours d'instruction.
Après la mort de Naomi : qui est au bout du fil quand on appelle le Samu ?
Un manque d'explications claires. Autre drame, cette fois en Normandie. En mai 2015, les parents d'Ayana, un nourrisson de cinq mois, appellent le Samu d'Alençon. La fillette "avait 42,5 degrés de fièvre", "les yeux ouverts mais ne bougeait plus", affirmait alors la mère de famille au micro d'Europe 1. Au téléphone, l'opérateur lui suggère de lui administrer du paracétamol et un bain tiède. Il demande également si le bébé a des convulsions, mais sans lui expliquer que celles-ci peuvent ne pas être accompagnées de spasmes visibles. La mère répond par la négative, et les urgentistes refusent de se déplacer. Les parents, qui n'ont pas le permis de conduire, doivent attendre l'aide d'un voisin le lendemain matin pour conduire Ayana à l'hôpital, où elle est placée dans le coma, avant de décéder quelques semaines plus tard.
La plainte pénale des parents a été classée sans suite par le parquet. L'Agence Régionale de Santé de Normandie avait de son côté porter plainte devant l'Ordre des médecins. En septembre 2016, l'urgentiste a été sanctionné par une interdiction d'exercer d'un an, dont six mois avec sursis par la chambre de discipline du conseil régional des médecins de Basse-Normandie.
Une amputation et une incitation à l'auto-prise en charge. D'autres manquements ou erreurs d'appréciation ont pu avoir des conséquences dramatiques sur la vie de certains patients. Thomas Veyret, 21 ans, a dû être amputé de la jambe droite en février 2017 à la suite d'une simple chute de trampoline. Ce jour-là, au téléphone, le médecin régulateur du Samu l'invite à rétablir lui-même sa luxation du genou. Face à la difficile réalisation de cette opération par le jeune homme, le régulateur s'impatiente : "Va doucement, mais j'attends depuis un moment, là…". "Comment imaginer que l'on impose à une victime choquée de faire elle-même, avec une seule main, l'autre tenant le téléphone, ce geste réservé à un professionnel ? Cela a contribué à la perte de sensibilité de sa jambe", avait alors accusé Me Edouard Bourgin, l'avocat de la famille, qui a porté plainte au pénal. L'instruction est en cours.
Une embolie pulmonaire prise pour une crise d'angoisse. Ces drames aboutissent parfois à des condamnations. En 2016, une ancienne permanencière du Samu-centre 15 d'Angers a été condamnée à un an de prison avec sursis, sans inscription au casier judiciaire. Sept ans auparavant, le 9 avril 2009, elle avait refusé d'envoyer des secours au domicile d'une jeune femme de 27 ans, qui venait d'accoucher un mois plus tôt, et qui faisait un malaise. L'opératrice soutenait qu'il ne s'agissait que d'une crise d'angoisse. Elle est morte quelques heures plus tard d'une embolie pulmonaire.
Naomi : un traitement "pas conforme aux bonnes pratiques"
Le responsable des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) a ouvert une enquête le 2 mai, après la révélation de l'affaire, et se donne trois semaines pour faire toute la lumière sur les causes de la mort de Naomi et les responsabilités potentielles du Samu. "La première analyse plaide pour une procédure de traitement d'appels qui n'est pas conforme aux bonnes pratiques, ce qui a conduit à l'ouverture d'une enquête administrative", a indiqué à l'AFP Christophe Gautier, directeur général des HUS.