Cent vingt évêques du monde entier sont attendus au Vatican jeudi prochain pour un sommet sur la protection des mineurs et des adultes vulnérables. Samedi, le pape a défroqué un ex-cardinal américain pour abus sexuel. Une première. L’Église voudrait ainsi montrer qu’elle est capable de se réformer face à la multiplication des scandales sexuels en son sein. Mais, coïncidence ou non, cela se fait à la veille de nouvelles révélations.
Un documentaire qui sera diffusé sur Arte, le 5 mars, révèle en effet de nombreux témoignages inédits de religieuses abusées par des prêtres. Le pape lui-même avait reconnu le 5 février que ces agressions avaient bien eu lieu. Mais d'après le documentaire, le Vatican avait été alerté depuis des années et à de multiples reprises. L'une des victimes, qui parle dans ce documentaire, s'est confiée en avant-première à Europe 1 au micro de Patrick Cohen, dimanche.
"A chaque rencontre, il est allé un peu plus loin". Dans un extrait du documentaire que nous nous sommes procurés, Michèle-France raconte son calvaire. Quelques temps après son entrée au carmel, elle se voit proposer d’être accompagnée par un prêtre dominicain. Voici ses mots : "Le père Marie-Dominique avait une réputation de saint homme. Je suis entrée au parloir et le père m’a dit 'est-ce que vous permettez que je prenne votre main ?' Et il a commencé à embrasser chacun de mes doigts l’un après l’autre. Et puis, à chaque rencontre suivante, il est allé un peu plus loin dans l’intimité physique, en glissant sa main sous ma robe, en prenant la mienne pour la glisser sous la sienne. Son explication, sa justification, c’est qu’il voulait me faire sentir l’amour de Jésus parce qu’il sentait, il savait, il avait éprouvé dans la prière que j’en avais besoin et que c’était ce que Jésus voulait pour moi à travers lui. Il était, c’est une expression qu’il utilisait beaucoup, 'le petit instrument de Jésus'", raconte-t-elle dans le documentaire.
"Une violence psychologique, spirituelle". Au micro d'Europe 1, la religieuse a encore étayé ses propos sur cette affaire. Après deux ans passés auprès du père Marie-Dominique, ce dernier l'a envoyée à son propre frère aîné, le père Thomas, qui a poursuivi les agressions, que la religieuse n'hésite plus à qualifier de viols : "Jusque là, je pensais qu’un viol s’accompagnait forcément de violence physique. Or, les deux pères n’ont jamais exercé de la violence physique sur moi mais ils ont exercé une violence psychologique, une violence spirituelle, ce que l’on peut qualifier d’emprise."
"J'avais perdu ma liberté". Elle poursuit son lourd récit : "D’abord, ces deux hommes avaient réussi à me faire croire qu’ils étaient vraiment les représentants de Dieu pour moi, qu’ils me faisaient connaître de vraies grâces mystiques. J’étais comme une petite mouche prise dans une toile d’araignée. J’avais perdu ma liberté en fait. J’étais vraiment paralysée par l’influence de ses hommes, qui d’ailleurs, tous les deux, ont séduit beaucoup de personnes. Je suis vraiment loin d’être la seule. J’étais entrée au carmel avec le désir de vivre pour Dieu, avec Dieu. En lisant l’Évangile, on apprend que l’on doit suivre le Christ sur la Croix. Donc la pénitence est une réalité qui fait partie du programme."
Le prêtre déjà condamné pour abus sexuel. Ce que Michèle-France ne savait pas non plus au-delà de la définition juridique du viol, c'est que le Père Thomas avait été condamné pour abus sexuel dans les années 1950. Le Vatican savait mais le père exerçait. "Moi je l’ignorais, je l’ai appris seulement après avoir révélé les abus dont j’avais été victime, en 2014, 2015." Une messe dédiée aux victimes a eu lieu il y a deux ans. On y entend l’évêque qui officiait dire 'Je demande pardon. L’Église a terriblement honte'. Certains pourraient y voir une maigre consolation, mais cette messe a été faite à la demande de Michèle-France : "Pour moi, cette messe a été cet acte de réparation."