La décision que prendra ce jeudi la Cour de cassation pourrait bien être historique. Le plaignant, un homme de 66 ans, est né intersexué, sans pénis ni vagin. Élevé par ses parents comme un homme, il souhaite remplacer le M qui figure sur ses papiers d’identité par un N. En clair : autoriser pour la première fois en France le "sexe neutre". En 2015, un juge des affaires familiales de Tours lui avait permis d’apposer la mention "sexe neutre" sur son état civil, mais la Cour d’appel d’Orléans avait ensuite rejeté la décision.
" Les États devraient offrir la possibilité de ne pas choisir un marqueur de genre spécifié 'masculin' ou 'féminin' "
Le Conseil de l’Europe favorable. Si la Cour de cassation répond favorablement à la requête du plaignant, elle ferait sortir la France de la binarité sexuelle, et suivrait donc les recommandations du Conseil de l’Europe. Dans un rapport de 2015, le commissaire aux Droits de l’homme écrivait : "Les États membres devraient faciliter la reconnaissance des personnes intersexuées devant la loi en leur délivrant rapidement des actes de naissances, des documents d’état civil, des papiers d’identité, des passeports et autres documents personnels officiels (…)et offrir la possibilité de ne pas choisir un marqueur de genre spécifié, 'masculin' ou 'féminin'".
Dans plusieurs pays, le sexe neutre ou troisième sexe est déjà reconnu légalement. Avec des degrés de reconnaissance qui varient selon les cas.
- En Australie, le "genre neutre". La Haute cour de justice australienne a tranché en 2014. Un troisième genre, appelé "genre neutre", est reconnu par le droit et apparaît sur les documents administratifs. Il peut être attribué à toute personne intersexuée qui en fait la demande, après un examen minutieux du dossier médical.
- En Asie, le troisième sexe par choix. Plusieurs pays asiatiques reconnaissent l’existence d’un troisième sexe. C’est le cas de l’Inde, de la Malaisie, du Népal ou encore de la Thaïlande. En revanche, cette mention ne se limite pas aux personnes intersexuées. Y ont droit les personnes transgenres et transsexuelles. Le troisième sexe revêt une dimension très particulière en Inde, où les hommes castrés, appelés eunuques, peuvent arborer un E sur leurs passeports. On est donc loin de l’intersexualité de naissance, qui n’est évidemment pas choisie.
- En Allemagne, l’indétermination sexuelle. Depuis 2013, les parents allemands d’enfants intersexués peuvent ne pas mentionner de sexe sur leur acte de naissance. L’enfant peut choisir son sexe légal à tout moment de sa vie. La mesure n'a pas vraiment de succès. Selon le quotidien La Croix, une enquête aurait comptabilisé seulement 12 cas de nourrissons allemands reconnus sexuellement indéterminés en 2014. Un chiffre très faible, comparé aux 200 à 400 enfants allemands qui naîtraient intersexués chaque année. Seul un certificat médical est délivré, et les documents officiels n’affichent aucun sexe. Les associations allemandes militent actuellement pour la reconnaissance d’un troisième sexe, rejetée par la Cour fédérale allemande, et actuellement examinée par la Cour constitutionnelle.
- En Suisse, le sexe modifiable. La Suisse interdit toute démarche irréversible sur les nourrissons nés intersexués. Les opérations chirurgicales pour réparer ou créer des organes génitaux sont proscrites avant 18 ans. Sont préférés des traitements hormonaux. Un sexe est inscrit sur l’acte de naissance, mais reste légalement modifiable.
- En France, reconnaître le droit d’autodétermination. Si la Cour de cassation choisit de reconnaître l'existence civile du sexe neutre, elle devra donc préciser de quelle manière. Contactée par Europe.fr, l’avocate du plaignant, Maître Mila Petkova tient à être claire. Pour elle, hors de question de calquer la version allemande. "En Allemagne, la loi est assez discriminante, car les gens se retrouvent sans aucun sexe sur leur état civil. Des enfants voient leurs camarades légalement femme ou homme, quand ils n’ont que du vide sur leurs cartes d’identité."
La loi allemande de 2013 n’a d’ailleurs pas mis fin aux opérations chirurgicales précoces. Selon le quotidien La Croix, environ 1.700 actes chirurgicaux sur les organes génitaux des enfants sont encore réalisés chaque année.
Mila Petkova penche plutôt pour la solution suisse. "A la naissance, il faut interdire les opérations mais demander aux parents de choisir un sexe pour leur enfant, afin de ne pas créer de discrimination comme en Allemagne. Ensuite, quand la personne est en âge, il faut lui donner la possibilité de s’autodéterminer sexuellement, avec l’option d’un troisième sexe", revendique-t-elle.
La France condamnée. Le droit français a commencé à s’adapter en 2011, avec une circulaire qui permet aux parents d’un enfant intersexué de ne pas lui choisir de sexe jusqu’à ses deux ans. La France est en tout cas attendue au tournant. En 2016, l’ONU avait condamné l’État français à trois reprises, pour des opérations chirurgicales visant à donner un sexe à des enfants intersexués.
Les personnes intersexuelles présentent une ambiguïté physique : leurs organes génitaux sont difficilement, voire pas du tout identifiables. L’intersexuation peut être d’origine génétique, anatomique ou hormonale. Difficile de déterminer le nombre exact de personnes concernées. En France, on considère qu'un enfant sur 100.000 naît intersexué.