Son fils est mort noyé à deux ans et demi : "Je suis responsable, mais pas coupable"

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Léa Beaudufe-Hamelin , modifié à
Le fils de Karine est mort noyé à deux ans et demi. Elle confie qu’elle se sent responsable, mais pas coupable, parce que le propriétaire de la maison de vacances qu’ils louaient avait pointé les défaillances de l’alarme de la piscine. Trois ans après la mort de son fils, Karine relate les faits à Olivier Delacroix.
TÉMOIGNAGE

Les noyades sont la deuxième cause de décès accidentel pour les enfants moins de 14 ans en France. Joey, le fils de Karine, avait deux ans et demi quand il s’est noyé dans la piscine de la maison de vacances qu’ils louaient. Celle-ci était équipée d’une alarme, mais le propriétaire de la maison avait conseillé de ne pas la brancher, pointant ses défaillances. Trois ans après la mort de son fils, Karine confie à Olivier Delacroix comment elle et son mari sont parvenus à se reconstruire, notamment grâce au soutien de leurs proches.

"Ma fille a eu un grand frère qu'elle n'a pas connu puisqu’il n'était plus là quand elle est née. Il est décédé il y a presque trois ans maintenant. On lui en parle régulièrement, mais elle ne le connaîtra malheureusement jamais. Il fait partie de nous, de notre vie et de son histoire. Dans sa chambre, il y a des photos de lui. C'était sa chambre à lui avant. Elle grandira toujours en sachant qu'elle a eu un grand frère. On lui en parlera autant que possible. Dès qu'elle sera en âge de comprendre, on lui expliquera les choses plus précisément. 

" L'alarme de la piscine ne fonctionnait pas "

Cette histoire commence de façon banale : une famille et des amis qui louent une maison avec piscine pour passer deux semaines de vacances. On était dix, cinq adultes et cinq enfants. Quand on est arrivés, on a fait la visite d'état des lieux avec le propriétaire. Au moment de faire la démonstration de l'alarme de la piscine, elle ne fonctionnait pas. Le propriétaire nous a dit : ‘Elle est très sensible, il faut que je la fasse régler. Je vous conseille de ne pas la brancher parce que sinon elle va réveiller tout le monde sans aucune raison. Ne la branchez pas, c'est préférable.’

C'était une journée où il n'avait pas fait particulièrement beau. On avait surtout occupé les enfants à l'intérieur. Aux alentours de 18 heures, on a décidé, comme tous les soirs, de donner le bain aux enfants ensemble. J’ai dit à mon fils : ‘Joey, va prendre le bain avec les autres.’ Il est descendu du canapé où il était avec moi. Je l'ai regardé partir dans la cuisine pour aller dans la salle de bain et j'ai détourné la tête. Je pense que c'est à ce moment-là qu'il est sorti.

" Je suis tombée sur mon fils en train de flotter dans la piscine "

Dix minutes après, j’ai vu mon beau-frère revenir dans le salon avec les enfants, sans Joey. Je lui ai demandé où il était et il m’a répondu qu’il ne savait pas. Je me suis levée d'un bond du canapé, j'ai foncé vers la cuisine pour aller voir dans le jardin. J’ai vu que la porte était ouverte. J’ai couru. Je suis tombée sur mon fils en train de flotter dans la piscine. J’ai hurlé. J'ai sauté dans l'eau pour le sortir. On a appelé les pompiers qui sont arrivés assez longtemps après. Je pense qu'ils ont mis au moins 20 minutes à arriver. 

Les équipes médicales sont arrivées et ont essayé les électrochocs. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Pour moi, c'était impossible qu'il ne se réveille pas. Un urgentiste est venu me voir pour m'expliquer que pour l'instant, ils n’avaient pas réussi à relancer le cœur, mais qu’ils ne désespéraient pas. J'avais déjà compris que c'était trop tard. Ce même médecin m'avait demandé : ‘Quand vous avez trouvé votre fils, est-ce qu'il était au fond de la piscine ou est-ce qu'il était déjà remonté à la surface ?’ La formulation de sa phrase induisait qu’au moment où je l'avais trouvé, c'était déjà trop tard. 

" J'avais cette double peur de perdre mon fils et mon mari "

J'ai appelé mon mari quand les pompiers essayaient de le réanimer. Mon mari n'a jamais douté de moi et ne m'en a jamais voulu. Je me souviens que quand je l'ai appelé, j'avais cette double peur de perdre mon fils et mon mari. Au contraire, il m'a soutenue. Il n'a jamais remis ma parole et mes actes en doute. Je le remercierai jusqu'à la fin de mes jours. Quand il est arrivé au funérarium, il ne m’a pas posé de questions. Il a été très choqué de voir son fils étendu. Je lui ai répété un million de fois que j'étais désolée et que je ne comprenais pas ce qui s'était passé.

Pour moi, c'est de ma faute puisque je suis sa mère et que j’étais là. J'aurais dû le voir. Tous ceux qui étaient là m’ont tout de suite dit : ‘Tu n'y es pour rien. Tu ne pouvais pas le savoir. On était tous là. Personne n'a rien entendu. Tu as toujours été une maman prudente. Même si tu te sens responsable, tu n'y es pour rien.’ Ils ont essayé de me mettre tout de suite ça dans la tête et je pense qu'ils ont bien fait. 

" Je m'en voudrai toute ma vie de ne pas avoir eu ce sixième sens de maman "

Je suis responsable, mais pas coupable. Je me sens responsable parce que c'est mon fils, je l'ai perdu et je ne le retrouverai jamais. Chaque parent est responsable de son enfant jusqu'à son dernier souffle. Ce qui s'est passé n'est pas de ma faute. Je n’ai pas fait en sorte que ça arrive. Au contraire, j'ai fait tout ce que j'ai pu pendant 13 jours pour que rien n'arrive. Il a fallu un mauvais concours de circonstances pour que le drame se produise. C’est pour ça que je ne suis pas coupable. Je m'en voudrai toute ma vie de ne pas avoir eu ce sixième sens de maman. 

C'était la responsabilité du propriétaire qui louait la maison de vérifier que son matériel était en bon état, ce qui n'était pas le cas. Il a bénéficié d'un non-lieu pour insuffisance de preuves. Ça m'a beaucoup choquée. J’ai été prise d'une grosse crise de doutes. Le sentiment de culpabilité est apparu parce que je me suis dit que c’était alors peut-être de ma faute et que je devais endosser toute la responsabilité. Je me suis dit que le propriétaire n'avait peut-être rien à voir là-dedans, que l'alarme ne marchait pas, mais ce n'est pas à une alarme de surveiller des enfants. 

Avec notre fille, son père et moi essayons de ne pas devenir complètement paranoïaques en ce qui concerne la sécurité. Quand je la vois, je vois son frère. Je me rappelle que je l'ai eu dans les bras et que je ne l'ai plus. Aujourd'hui, je sais que tout peut s'arrêter en un claquement de doigts. C’est un combat de tous les instants pour réussir à survivre après une chose pareille. Je sais que j'ai changé et mon mari aussi. On s'adapte. L'être humain a une capacité de survie extraordinaire. 

On a une chance incroyable d'avoir été entourés comme on l'a été. Personne ne nous a jugés. Ils nous ont asséné dans la tête à coups de marteau que ce n’était pas de notre faute. Ça a été très important. On ne s'en rend pas compte sur le coup, mais au fur et à mesure que le temps passe, on prend conscience de tous les efforts qu'ils ont fourni et de tout ce qu'ils n'ont pas laissé transparaître pour rester solides et nous offrir leur épaule pour pleurer. La vie continue."