L’indépendance de la justice revient sur le devant de la scène. L’exécutif est accusé de s’immiscer dans la succession de François Molins au prestigieux poste de procureur de Paris. Selon le Canard enchaîné, publié mercredi, Emmanuel Macron lui-même aurait rejeté les noms de trois candidats, "du jamais vu dans les annales judiciaires". Le ministère de la Justice a même lancé un nouvel appel à candidatures, alors que François Molins doit quitter le parquet de Paris en novembre pour devenir procureur général près la Cour de cassation.
Ce rebondissement, inattendu, a suscité l’indignation des syndicats de magistrats et de l’opposition. "Une telle pratique, inédite, interroge sur la conception que se font de l’autorité judiciaire le président de la République et la ministre de la justice", a critiqué l’Union syndicale des magistrats (USM) dans un communiqué, tandis que le syndicat de la magistrature (SM) a pointé du doigt "le choix du prince". Le député LR Éric Ciotti a, lui, accusé Emmanuel Macron de vouloir "imposer sur la justice des amis et des hommes de confiance". Des tensions qui révèlent l’enjeu du poste de procureur de Paris, l’un des plus convoités de la magistrature.
- Un poste prestigieux et médiatique
Le tribunal de grande instance de Paris, le plus important de France par le nombre d’affaires traitées, a toujours suscité les convoitises. "La nature même de la ville de Paris fait que les dossiers les plus sensibles, qui peuvent impliquer des personnalités de la majorité, de l’opposition ou des proches du pouvoir, sont pour la quasi-totalité traités à Paris. Ce n’est pas le magistrat le plus puissant, mais le poste le plus sensible de France", avance Jacky Coulon, secrétaire national de l’Union syndicale des magistrats (USM), interrogé par Europe 1.
Le procureur de Paris dispose également d’une compétence nationale en matière de crimes contre l’humanité, de crimes et délits commis par des membres de l’armée française en dehors de l’hexagone et de terrorisme. Ce sont d'ailleurs les dossiers terroristes qui ont fait connaître au grand public la fonction de procureur de Paris. Ces dernières années, François Molins est même devenu le visage de l’antiterrorisme, prenant la parole après chaque attentat djihadiste. Ses conférences de presse, factuelles et sobres, en ont fait une figure médiatique de premier plan, au point de devenir le magistrat le plus connu de France et d’avoir droit à la Une du magazine Society en avril 2016, quelques mois après les attentats du 13-Novembre.
Son successeur ne devrait cependant plus s’occuper de la lutte contre le terrorisme. En effet, le gouvernement a acté la création d’un parquet national antiterroriste (PNAT), qui doit être validé par le parlement lors de l’examen du projet de réforme de la justice en octobre.
- Des dossiers sensibles (et politiques) à traiter
A Paris, les dossiers médiatiques ne manquent pas, impliquant notamment des personnalités (acteurs, chanteurs etc…) ou la criminalité organisée. Le procureur de Paris doit également gérer des affaires politiques hautement sensibles. Ces derniers mois, le parquet de Paris a ouvert des enquêtes visant plusieurs proches du pouvoir, dont Alexandre Benalla ou la ministre de la Culture Françoise Nyssen. "La loi interdit au gouvernement de donner des instructions dans des affaires particulières. Mais comme le gouvernement choisit le procureur de la République, il jette d’emblée une suspicion. Il existe une crainte de voir ce procureur satisfaire le pouvoir qui l’a mis en place", s’inquiète Jacky Coulon.
En effet, l’article 65 de la Constitution donne au gouvernement la prérogative de nommer les procureurs, sans avoir à suivre l’avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). La révision de la Constitution, reportée en juillet à cause de l'affaire Benalla, prévoit d'interdire au pouvoir de passer outre l'avis du CSM pour les hauts magistrats du parquet. Emmanuel Macron s’était pourtant prononcé clairement pour le maintien "d’une chaîne hiérarchique" entre le parquet et le ministère de la justice, dans un discours prononcé mi-janvier.
La question n’est cependant pas nouvelle, et même François Molins en avait fait frais. En 2011, sa nomination avait provoqué la consternation : il était alors directeur de cabinet du garde des Sceaux Michel Mercier, qui avait lui-même proposé son nom pour le parquet de Paris. "On pouvait avoir des craintes sur son degré d’indépendance. Dans la pratique, il a réussi à s’élever au-dessus de ça et il n’y a aucune critique à formuler sur sa gestion du parquet", assure Jacky Coulon, qui prévient immédiatement. "Mais tout le monde n’a pas les qualités de François Molins. La suspicion restera toujours, tant que son successeur n’aura pas fait les preuves de son indépendance."