Le document tombe à point nommé. Quelques jours après la lettre de la directrice de la maison d'arrêt de Villepinte, qui expliquait à la Justice ne plus pouvoir accueillir de détenus dans sa prison surpeuplée, et la démission du directeur de l'administration pénitentiaire, sur fond, selon certaines sources, de "désaccord" avec son ministre, un Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire a été remis à Jean-Jacques Urvoas, mardi. Commandé par le gouvernement en janvier, le rapport répond à son objectif principal : dessiner les contours des nouvelles prisons françaises, promises par Manuel Valls au mois d'octobre. Mais il dresse aussi un tableau assez sombre de la situation au sein des établissements pénitentiaires, et des politiques successives dédiées à son amélioration.
Des places en plus, une surpopulation en hausse. Dans le viseur des auteurs du Livre blanc : la promesse systématique de construire de nouvelles prisons pour lutter contre le surpeuplement. "Les précédents programmes immobiliers ont échoué à endiguer la surpopulation carcérale", diagnostiquent-ils. "Si le nombre de places en établissements pénitentiaires s'est accru ces dernières années, cette augmentation s'est accompagnée d'une croissance encore supérieure du nombre des personnes incarcérées." Pour preuve, le taux de densité carcérale est passé de 112% au 1er janvier 1995 à 118% au 1er janvier 2017. Sur la même période, le parc immobilier a crû de 10.494 places, pour atteindre une capacité totale de 58.681 places en détention.
" Le temps qu'on construise des prisons, la population carcérale a augmenté et la surpopulation reste la même "
"On ne propose rien pour limiter l'inflation carcérale", décrypte Alexis Saurin, président de la Fédération des associations réflexion-action prison et justice (Farapej), interrogé par Europe1.fr. Conséquence : "le temps qu'on construise des prisons, le nombre de détenus a augmenté et la surpopulation reste la même, c'est mathématique. Et cette année encore, cette question est envisagée sous le même angle dans les programmes des candidats à l'élection présidentielle", déplore-t-il.
40.000 nouvelles places dans le programme du FN. À plus ou moins grande échelle, la proposition d'augmenter le nombre de places en prison se trouve en effet dans la plupart des projets des candidats à la présidentielle. S'il est élu président, Emmanuel Macron en promet par exemple 15.000. C'est 1.000 de moins que François Fillon, qui entend également "rétablir les peines planchers en cas de récidive et fixer des peines minimales pour les délits les plus graves"... Et surtout 25.000 de moins que Marine Le Pen, qui table sur 40.000 nouvelles places en cinq ans, assorties d'une peine de "perpétuité réelle incompressible pour les crimes les plus graves."
" Il y a encore l'idée qu'une personne n'a pas été vraiment sanctionnée tant qu'elle n'est pas allée en prison "
Les auteurs du Livre blanc misent pourtant davantage sur des politiques "assumées de réduction du recours à l'incarcération". "Il faut se poser la question des personnes qu'il est utile de voir passer par cette case prison", a commenté au micro d'Europe 1 Jean-René Lecerf, coordinateur du rapport. "Pour ceux-là, la prison doit exister. Pas pour celles qui peuvent y échapper parce qu'elles ne représentent pas de dangerosité particulière." "C'est une question culturelle", abonde Alexis Saurin. "Dans beaucoup d'esprits en France, il y a encore l'idée qu'une personne n'a pas été vraiment sanctionnée tant qu'elle n'est pas allée en prison."
Des mesures alternatives "sous-utilisées". "Pourtant, on dispose des outils juridiques pour changer vraiment les choses", souligne le président de la Farapej. "Il y a une première question à se poser : comment éviter que les gens aillent en prison ? Il y a les travaux d'intérêt général, qui existent depuis quarante ans, ou, depuis 2014, la contrainte pénale. Tout cela est complètement sous-utilisé", souffle-t-il. "Il faut faire en sorte que l'on développe les alternatives à la détention pour les personnes qui sont prévenues", ajoute Jean-René Lecerf. Stabilisé entre 2008 et 2014, le nombre de détentions provisoires est à nouveau en nette hausse depuis deux ans, avec un passage de 16.549 au 1er janvier 2015 à 19.498 au 1er janvier 2017. Ces peines sont effectuées dans des maisons d'arrêt, les premières concernées par le surpeuplement carcéral (142% de taux d'occupation).
" Le code pénal prévoit qu'une partie de la peine puisse être effectuée sous contrainte, mais à l'extérieur "
Deuxième axe développé : l'accompagnement à la sortie de prison, grâce à des mesures progressives. "Le code pénal prévoit qu'une partie de la peine puisse être effectuée sous contrainte, mais à l'extérieur. On y a trop peu recours", estime Alexis Saurin. Début 2017, seules 9.505 bénéficiaient par exemple du placement sous surveillance électronique. Une "stagnation", selon la commission en charge de la rédaction du Livre blanc. Dans un rapport publié en 2016, le Conseil de l'Europe note pourtant que la libération conditionnelle est "une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société".
"On a cinquante ans de retard". Ces mesures sont, pour la plupart, présentes dans les programme de Jean-Luc Mélenchon, qui préconise une "limitation du recours à l'emprisonnement", et Benoît Hamon, qui a reçu le soutien de l'ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira. Dans un rapport sur le surpeuplement en prison , publié en novembre 2016, la Farapej va jusqu'à estimer qu'elles pourraient permettre de "réduire la surpopulation carcérale sans avoir significativement besoin d'étendre le parc pénitentiaire". De son côté, Jean-René Lecerf juge que ces réformes sont nécessaires pour accompagner une hausse du nombre de prisons. Avec une certitude : "si on décide simplement de construire 15.000, 16.000 places supplémentaires, dans 10 ans, on se posera les mêmes questions."