"Ce que j'ai fait est très terrible", lâchait Ludivine Chambet au premier jour de son procès, il y a près de deux semaines. Depuis, l'aide-soignante de 34 ans, accusée d'avoir volontairement empoisonné treize pensionnaires de sa maison de retraite de Jacob-Bellecombette, en Savoie, n'a cessé de présenter ses excuses aux familles des victimes, se disant "pleine de remords". Sans pour autant parvenir à expliquer ses meurtres, autrement qu'en évoquant une part "méchante" de sa personnalité, liée au bouleversement causé par le décès de sa mère.
"Au service de la personne". Côté pile, il y a une femme fragile mais "sans histoire", selon les termes de l'un des psychiatres l'ayant examinée. Ludivine Chambet naît en 1983 dans une famille modeste et unie, près de Chambéry. Le bébé est prématuré et souffre d'une maladie génétique rare, qui engendre une forme de gigantisme et des malformations. Durant ses premières années, elle doit subir plusieurs lourdes opérations. Une enfance qui la laisse complexée par sa grande taille et ses cicatrices, mais surtout surprotégée par sa mère, avec qui elle entretient une relation "immature et dépendante", selon les experts.
Depuis sa majorité, Ludivine est dépressive. Objet de moqueries au cours de sa scolarité, elle a peu d'amis et sa vie sentimentale est quasi-inexistante. Mais elle réussit sa formation d'aide-soignante et trouve du travail à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Le Césalet, près de Chambéry. La jeune femme se définit elle-même comme "gentille, serviable, à l'écoute de l'autre". Elle a toujours voulu "être au service de la personne". En mai 2013, elle est même promue au sein de l'établissement.
"Un pétage de plombs". Côté face, les experts psychiatres dépeignent un passage à l'acte froid, suivant un "rituel" d'empoisonnement précis. Le père de Ludivine, également entendu par la cour, préfère parler d'un "pétage de plombs, un burn-out, je ne sais quoi". La bascule intervient en 2012, lorsque sa mère se voit diagnostiquer une leucémie aiguë, qui lui sera fatale. La "béquille" de la jeune femme, pour reprendre les termes des médecins, vacille, puis lâche. Dans l'année qui suit, elle administre à certains de ses patients des cocktails de neuroleptiques et d'antidépresseurs, composés par ses soins, toujours de la même manière et dans les mêmes gobelets. Selon les enquêteurs, les victimes sont au nombre de treize, dont dix sont décédées. L'accusée n'en reconnaît que onze.
" Cette personnalité qui me demandait de faire ce que j'ai fait, cette double Ludivine "
Dans son historique internet, la police découvre "520 à 530 recherches" se rapportant à l'affaire, réalisées entre mai et octobre 2013. "Comment faire mourir un homme?", "médicament provoquant un arrêt cardiaque", "comment provoquer une perte de connaissance?", "comment provoquer un coma?", égrène, devant la cour, un expert en informatique. Au milieu des requêtes sur les psychotropes, d'autres évoquent le quotidien morne de la jeune femme, côté pile : "Pourquoi suis-je toujours célibataire ?" ou encore "comment enlever un mauvais sort ?"
"Cette double Ludivine". "Aussi improbable que ça puisse paraître, je ne m'en rappelle pas", souffle Ludivine Chambet, d'une petite voix enfantine contrastant avec son physique imposant. "À aucun moment je me revois faire ces recherches. J'étais vraiment déconnectée de la réalité, avec cette personnalité qui demandait de faire ce que j'ai fait, cette double Ludivine." À plusieurs reprises, la jeune femme évoquera cette scission entre "la gentille Ludivine" qui voulait "apaiser" ses victimes, et "la méchante Ludivine", qui faisait ces recherches internet et administrait les mélanges. Les experts psychiatres écartent pourtant toute maladie mentale ou dédoublement de la personnalité.
"Je voulais être reconnue comme la personne qui les a soulagées", explique encore Ludivine Chambet, qui nie avoir eu l'intention de donner la mort avec ses "cocktails". "Je faisais plus attention aux personnes que je sentais tristes, j'avais le sentiment que ces personnes n'étaient pas bien, pas heureuses." Une version à nouveau contredite par les experts, pour qui "les victimes sont le fait du hasard, de la porte de chambre devant laquelle elle se trouve". Et Ludivine Chambet de préciser : "c'est à mes yeux que je voyais les victimes plus tristes mais c'est moi qui n'allait pas bien."