Qu'attendre du Grenelle des violences conjugales ? Deux mois après l'annonce de Marlène Schiappa, il sera officiellement lancé par le Premier ministre, mardi à Matignon. La secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes a d'ores et déjà dit sa volonté de "construire ensemble des mesures efficaces pour enrayer" ces violences, alors que 121 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex-compagnon en France en 2018, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.
Alors que les militantes du collectif #NousToutes ont dénoncé dimanche soir le "100ème féminicide de l'année" après la découverte du corps d'une femme dont le conjoint a été interpellé à Cagnes-sur-Mer, Europe 1 a recueilli le témoignage saisissant de Laura, 31 ans. En 2013, cette femme a rencontré un homme qui travaillait, comme elle, dans le secteur de l'immobilier. Du jour au lendemain, il s'est mis à la frapper. De plus en plus violents, les coups ont duré des années, jusqu'à ce qu'elle frôle la mort.
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"En février 2013, j'ai rencontré un homme dont je suis tombée follement amoureuse. Au bout de quatre ou cinq mois, il revenait souvent au plein milieu de la nuit, sous l'emprise de l'alcool. Au départ, il cassait des objets. Ensuite, ça a été les premières bousculades. On se dit que ce n'est pas grand chose : Monsieur s'excuse, et le lendemain on dit que c'est la faute de l'alcool.
"Je me suis mise dans un déni total"
Ensuite, il y a les premières insultes. (...) Un an après notre rencontre, au printemps 2014, il m'a giflée, il a essayé de m'étouffer avec un oreiller. (...) Les voisins ont appelé la police, mais il est parti avant qu'elle n'arrive. Les policiers ne m'ont pas conseillé de forcément porter plainte la première fois. Ils m'ont dit qu'il fallait que je parte, que ça n'était pas normal. J'ai raconté ce qu'il s'était passé, mais j'ai atténué. Je n'employais pas du tout le terme de violences conjugales, je disais que c'était une grosse dispute, avec des coups.
J'ai réussi à me séparer de lui quelques mois, au bout d'un an. Finalement, il est revenu vers moi en me disant qu'il allait changer, que j'étais la femme de sa vie, qu'il regrettait, que c'était la faute de l'alcool.... Je suis retournée avec lui. Les premiers mois, c'était idyllique. Je suis tombée enceinte. Quand il a appris la nouvelle, il était heureux. Je me suis : ça va être un nouvel homme, ça va le changer.
Et finalement, au bout de quatre ou cinq mois de grossesse, il a commencé à me retaper dessus. J'ai eu honte, parce que mes amis ne voulaient pas que je revienne avec lui, ils disaient qu'un homme, ça ne change pas. Moi je disais à tout le monde qu'il avait changé, que tout se passait bien. (...) Là je me suis mise dans un déni total. j'avais tellement honte, (...), j'avais peur aussi pour l'enfant.
"Les policiers auraient du l'interpeller"
Ensuite il y a la naissance de ma fille et on passe encore un cran au-dessus. Avec l'alcool, ça s'accentue. Il veut prendre l'enfant dans les bras et il le fait tomber, alors [je suis] obligée de faire tampon pour ne pas qu'il touche à cet enfant. C'est vous qui vous prenez les coups, vous ne dormez quasiment pas, parce que vous avez toujours peur (...). Je n'étais jamais tranquille.
" J'avais à peine pu composer le numéro qu'il m'a arraché mon téléphone "
Puis il y a eu une deuxième intervention de la police, en mars 2017. Il est arrivé tard, alcoolisé, je lui ai fait une réflexion et il m'a sauté dessus. Les voisines ont entendu, ont tapé à la porte pour que ça s'arrête (...). Encore une fois, il s'est enfui avant que la police n'arrive. Je pense que la deuxième fois au vu de mon état, peut-être que les policiers auraient dû l'interpeller : il m'avait étranglée, j'avais quand même des marques sur le cou, un peu sur le visage.
J'avais honte, j'étais totalement paralysée, je n'y arrivais pas [à porter plainte]. À chaque fois, il me disait : 'non, non, je vais changer'. On est partis à 15.000 km pendant trois semaines (...). On est revenus et la violence est montée d'un cran, jusqu'à arriver à la troisième intervention de la police, où il est revenu ivre mort, encore une fois, en plein milieu de la nuit. (...) Il est arrivé à fond, il a pris une bouteille d'eau, il l'a balancée sur ma fille et sur moi. J'ai réussi à prendre mon portable et à appeler mes parents, mais j'avais à peine pu composer le numéro qu'il m'a arraché mon téléphone.
"Ça va être votre parole contre la sienne"
Il a été prendre son club de golf, il m'a dit qu'il allait me tuer, vu que j'avais alerté mes parents. C'était très difficile, j'avais ma fille dans les bras. J'étais à genoux. (...) Je savais qu'il était capable de me mettre ce coup de club de golf dans la tête, j'ai eu peur pour ma vie et celle de ma fille, celle de mes parents. Mais ce qu'il ne savait pas, c'est que mes parents avaient appelé la police. Ils sont arrivés (...) et la police est arrivée tout de suite après.
J'ai eu un petit déclic. Je leur ai demandé : 'si je dépose plainte, qu'est-ce qui se passe ?'. Le policier était gêné. Il m'a dit : 'c'est pas bien ce qu'il a fait, de balancer une bouteille d'eau sur vous et votre enfant, mais la justice ne fera rien, vous n'avez pas de traces, ce ne sont pas des coups'. Concernant les menaces de mort avec le club de golf il m'a dit : 'ça va être votre parole contre la sienne'. Donc en gros, tant que je ne serais pas quasiment morte sous les coups, la justice ne ferait rien. Je me suis dit que ça ne servait à rien que j'y aille. Ils sont repartis.
" J'ai vu son regard et je me suis dit : il va me frapper quand il va rentrer "
Le lendemain, c'était un cauchemar. Mon ex-conjoint m'a clairement menacée de mort. Je voyais que son regard était complètement noir, j'avais peur (...). C'était chez lui aussi, alors il est revenu et il m'a dit qu'il ne quitterait pas le domicile. C'était un enfer, pendant plusieurs mois. Et puis il y a eu cette nuit du 16 au 17 avril 2018. On était en soirée, je suis rentrée avant lui, je lui ai fait une réflexion sur sa consommation d'alcool devant ses collègues de travail. Il n'a rien dit devant ses collègues, (...) mais j'ai vu son regard et je me suis dit : 'il va me frapper quand il va rentrer' (...).
"On en arrive à être quasiment morte"
Il est rentré, il a mis à exécution ses menaces. Il me faisait mal, il me bloquait contre la porte (...). Il m'a pris, il m'a soulevée et il m'a dit : 'je vais te tuer'. Il m'a étranglée devant notre fille de deux ans et demi, qui a assisté à toute la scène. J'ai vu la mort dans les yeux de ma fille, c'était horrible (...). Il m'avait enfermée à clé, alors je me suis dit que j'allais sauter par la fenêtre. Mais c'était trop tard. Il m'a cogné la tête à plusieurs reprises contre le mur, je suis tombée par terre. Et là, il s'est mis sur moi... Au moins une balle dans la tête, vous ne voyez pas la mort. Mais une strangulation, se faire étrangler… La personne vous regarde, vous la suppliez, vous voyez la mort.
Là il y a un miracle qui s'est produit, les voisins ont frappé à la porte. Il s'est arrêté, et je me suis dit : 'il faut que j'arrive à ouvrir cette porte'. J'avais un double des clés dans le séjour, j'ai rampé comme un chien, il n'y a pas d'autres mots, pour la trouver. J'ai réussi à ouvrir la porte et je me suis écroulée dans le couloir. (...) La police est arrivée et j'ai déposé plainte avec mon père. J'ai été bien reçue, mais en même temps j'étais à l'article de la mort. Quand on en arrive à être quasiment morte, pour que la plainte soit prise....
"Il n'avait pas de bracelet électronique"
Lui, il a été arrêté, placé en garde à vue, ils ont retenu en chef d'accusation la tentative de meurtre. Mais le 14 février 2019, il a été libéré en l'attente de son procès, et c'est un deuxième cauchemar qui a commencé. Il n'avait pas de bracelet électronique, même pas d'interdiction de se trouver en Île-de-France, juste une interdiction d'entrer en contact avec moi. Je suis tombée nez à nez avec lui devant chez mes parents le dimanche de Pâques... J'ai été au commissariat, on n'a pu déposer qu'une main courante avec mon père. Les policiers étaient très mal, ils voyaient que ça n'allait pas. Ils ont contacté la juge d'instruction, ils pensaient qu'il allait être remis en détention provisoire. Mais elle n'a jamais donné l'ordre.
Puis un jour, je dépose ma fille au centre de loisirs et ils me disent : 'madame il y a un problème, la mairie nous a appelé et nous a dit que le père recherchait sa fille.' Alors je me suis dit : 'je n'ai plus que les réseaux sociaux, je n'ai plus rien à perdre'. Mon avocate ne voulait pas mais je l'ai fait. Le 14 mai, j'ai lancé le 14 mai des bouteilles à la mer sur Twitter. Une semaine après, il a été placé en détention provisoire, sur l'ordre du procureur."