"J'aimerais repartir d'ici avec ma mère, mais je sais que ce n'est pas possible". L'un des trois fils du couple Metais a résumé l'ambivalence de leur position cette semaine, au procès de leur mère. Depuis mardi, Annie Slama - elle a repris son nom de jeune fille - comparaît pour le meurtre de Jacques, son ex-mari, commis en 2010. L'accusée est jugée libre : après 18 mois de détention provisoire, la justice l'a laissée sortir de prison dans l'attente de son procès. La preuve, selon son avocat Me Lantelme, qu'elle ne représente pas "le moindre danger pour la société". L'argument fera-t-il mouche auprès du jury des assises des Bouches-du-Rhône ? Le parquet a requis 22 ans de réclusion, jeudi. Le verdict est attendu dans la soirée.
Des années de violences conjugales. L'histoire des Metais n'est contestée par aucune des parties. Leur rencontre, alors qu'il travaillent tous les deux au contrôle général de la Banque de France. Leur mariage, puis les premiers accès de violence de Jacques, rapidement diagnostiqué bipolaire, mais qui continue à associer l'alcool au valium. Il y a les moments heureux, mais aussi les portes défoncées à la hache et les insultes, écrites en rouge sur les portes de la maison. Et les enfants, eux-mêmes battus, qui entendent plus souvent leur père dire à leur mère "'tu es la dernière des connes" que "je t'aime", de leur propre aveu.
Le constat est posé. "Vous allez condamner une femme battue, c'est ça la vérité", a soufflé l'un des enfants devant la cour, mercredi. Comment, alors, fixer une juste peine sans "salir la mémoire" de leur père, un homme qu'ils décrivent comme "fin, distingué, intelligent" ? À chaque suspension d'audience, mère et enfants se serrent dans les bras les uns des autres. En prison, Annie Slama a reçu une lettre de Samuel, un de ses fils : "Ce qui s'est passé n'est pas de ton fait. Qui pourrait te blâmer d'avoir été le jouet d'un homme brisé ?"
"Dire que je l'ai tué, c'est dur." L'enjeu est lourd : Annie Slama, reconvertie en psychologue-clinicienne, encourt la réclusion criminelle à perpétuité. Car pour l'avocate générale, ce que l'accusée présente comme des coups qui n'avaient pas pour but de donner la mort est bien un meurtre, volontaire. "Il est mort de mes mains", a reconnu la quinquagénaire à l'audience. "Mais dire que je l'ai tué, c'est dur…"
La nuit des faits, les Metais se trouvaient sur le catamaran d'Annie, dans le sud de la France. Divorcés depuis cinq ans, ils se voyaient pour évoquer la garde de leur plus jeune fils. Rendez-vous avait été pris au domicile de l'aspirante psychologue, à Meyreuil, près d'Aix-en-Provence. Pourquoi avoir choisi de partir en bateau ? Pour "apaiser les tensions" et éviter que les deux aînés ne croisent leur père, dans une phase de violence, assure l'accusée.
"Je voulais tenir jusqu'à son bac". À bord, sous l'empire de l'alcool, une dispute éclate. Annie Slama refuse un acte sexuel, Jacques Metais la saisit à la gorge. "Confrontée exactement aux mêmes horreurs que quelques années auparavant", la mère de famille est "débordée par différentes émotions : la révolte, le ras-le-bol". Le couple chute au sol. La femme pose son genou sur la cage thoracique de son mari et appose ses mains sur son visage, jusqu'à ce qu'il la lâche. L'homme ne respire plus. "Terrorisée", Annie Slama lui colle alors des bandelettes de scotch sur le visage. Six jours plus tard, elle revient à bord pour lester le corps d'une ancre et le jette à l'eau. "Ma hantise, c'était que Jonas (son plus jeune fils, ndlr), mineur, soit placé", expliquera-t-elle à Libération. "Je voulais tenir jusqu'à son bac."
Mais pour l'accusation, ce récit, entièrement basé sur les déclarations de l'accusée, pose question. Pourquoi avoir continué à nier après la découverte du corps, repêché les mains enchaînées dans les calanques de Marseille un mois après le meurtre ? Des expertises médicales, indiquant que le décès est plus probablement dû à l'obstruction des voies respiratoires par l'apposition de scotch, sèment également le doute. Tout comme les compte-rendus des psychiatres, qui décrivent une femme à la " personnalité narcissique", au "sang-froid glaçant". Et après le meurtre, Annie Slama a usurpé l'identité de son ex-mari pour opérer des transferts financiers à son profit.
Le précédent Jacqueline Sauvage. Malgré la circonstance aggravante que constitue le meurtre sur conjoint ou ex-conjoint, la quadragénaire peut-elle bénéficier d'une peine clémente au vu de son passif familial ? C'est ce qu'espère sa famille, s'appuyant notamment sur la jurisprudence que constitue l'affaire Jacqueline Sauvage. Dans un contexte différent - toujours mariée, et pas directement menacée par son époux au moment des faits -, la mère de famille l'avait tué de trois coups de fusil dans le dos. Condamnée à dix ans de prison et devenue symbole des victimes de violences conjugales, elle a bénéficié d'une grâce présidentielle en décembre 2016.