Violences conjugales : «pôles spécialisés», ordonnance de protection... Dupond-Moretti détaille une série de mesures

Eric Dupond-Moretti
Eric Dupond-Moretti a détaillé lundi une série de mesures pour lutter contre les violences conjugales. © Thomas SAMSON / AFP
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avec AFP / Crédits photo : Thomas SAMSON / AFP
À l'issue de la remise d'un rapport parlementaire à la Chancellerie, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a détaillé lundi une série de mesures pour lutter contre les violences conjugales. Des mesures, annoncées en mars par la Première ministre Élisabeth Borne, qui feront l'objet de décrets ou de projets de loi dans les prochains mois.

"Pôles spécialisés" dans les tribunaux, mesures d'urgence prises en 24 heures... Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a détaillé lundi une série de mesures pour lutter contre les violences conjugales à l'issue de la remise d'un rapport parlementaire à la Chancellerie. Ces mesures, qui feront l'objet de décrets ou de projets de loi dans les prochains mois, avaient été annoncées en mars par la Première ministre Élisabeth Borne dans le cadre de son plan en faveur de l'égalité femmes-hommes, "grande cause" du quinquennat.

Les violences conjugales, "l'affaire de tous et toutes"

"Nous avons l'espérance d'être beaucoup plus efficaces" face à "ces violences qui nous font honte" et sont "l'affaire de tous et de toutes", a indiqué le ministre de la Justice lors d'un point de presse avec Isabelle Rome, ministre déléguée à l'Egalité entre les femmes et les hommes, et les deux autrices du rapport. La création d'un "pôle spécialisé dans les violences intrafamiliales" dans chacun des 164 tribunaux français fera l'objet d'un décret "à la fin de cet été", a précisé Éric Dupond-Moretti. Chaque pôle comprendra une équipe coordonnée par des magistrats référents du siège et du parquet, avec une adaptation aux spécificités locales.

Le gouvernement veut aussi permettre à un juge de prononcer, en cas "d'urgence extrême", une ordonnance de protection en 24 heures, réclamée de longue date. Les délais de ces ordonnances, autorisant l'éviction du conjoint violent ou une interdiction de contact, avaient été réduits à six jours en 2019 (45 jours en moyenne auparavant). Cette procédure, provisoire, devra être réexaminée par un juge "dans un délai de six jours", a précisé le garde des Sceaux, ajoutant qu'elle figurerait dans un projet de loi "à l'automne".

+21% de violences conjugales en 2021 par rapport à 2020

Le ministère de l'Intérieur a recensé 207.743 victimes de violences conjugales en France en 2021, essentiellement des femmes, une hausse de 21% par rapport à 2020. 122 ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint cette même année, selon le ministère. Une quarantaine de femmes ont déjà été tuées depuis le début de l'année, d'après les associations. Des chiffres qui ne baissent pas, malgré les mesures prises notamment depuis le Grenelle de 2019, constate le rapport visant à "améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales", remis aux deux ministres.

Leurs autrices, Emilie Chandler (députée Renaissance du Val-d'Oise) et Dominique Vérien (sénatrice de l'Yonne, UDI), commencent par noter le doublement des plaintes depuis 2016 "dans un contexte de libération de la parole et d'amélioration des conditions d'accueil des victimes", ainsi que la réponse judiciaire plus "rapide" (doublement des condamnations devant les tribunaux correctionnels, +218% de mesures d'éloignement entre 2017 et 2021), même si les progrès ne sont pas "au même niveau" sur l'ensemble du territoire.

59 recommandations

Dans leurs 59 recommandations, elles soulignent le besoin d'améliorer la "coordination" entre les acteurs - des défaillances sur le suivi de conjoints violents et récidivistes ont été révélées lors de plusieurs féminicides ces derniers années. Elles recommandent la création d'un fichier regroupant les informations sur les auteurs -sur lequel la Chancellerie et l'Intérieur travaillent déjà- et une meilleure prise en charge des hommes violents (campagnes de prévention dédiées, suivi après la prison pour éviter la récidive...).

Concernant les enfants confrontés aux violences intrafamiliales, elles proposent de professionnaliser les administrateurs ad hoc, qui représentent leurs intérêts, et de "permettre au juge dans certaines situations extrêmes de priver le parent violent" de son autorité parentale. En amont du traitement judiciaire, il faut "un maillage de personnes formées à tous les niveaux de la chaîne" (médecins, travailleurs sociaux, fonctionnaires...) pour ne "pas passer à côté" de situations de danger, a souligné Isabelle Rome, reprenant une recommandation du rapport.

S'inspirer de l'Espagne

Les grilles d'évaluation du danger, obligatoires, sont "loin d'être" systématiquement remplies, notent les parlementaires, suggérant aussi de s'inspirer de l'Espagne, pays précurseur en la matière, et d'évaluer "sur la base d'un calcul algorithmique" le risque de passage à l'acte. Elles proposent d'élargir davantage la délivrance des "téléphones grave danger". Près de 3.500 sont actifs (+471% depuis 2019) mais ils restent trois fois moins attribués qu'en Espagne.

Quant aux "bracelets anti-rapprochement" (1.000 actifs), plombés par des problèmes techniques, un nouveau modèle adapté au réseau 5G et avec une batterie plus fiable, sera déployé dès le mois prochain, promet la Chancellerie.

 

Des mesures "décevantes" ou "incomplètes" pour les associations

Les associations défendant les femmes victimes de violences ont jugé "décevantes" ou incomplètes" les mesures pour améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales annoncées lundi par le gouvernement. "On attendait ce rapport depuis sept mois et il accouche d'une souris. Il est très timoré, très peu ambitieux par rapport au problème des violences familiales, qui est massif", a déclaré à l'AFP Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, jugeant les mesures annoncées "très décevantes".

"Les femmes, quand elles portent plainte, s'engagent dans un labyrinthe judiciaire: elles vont avoir de multiples interlocuteurs pour une même affaire de violences familiales", explique-t-elle. "Les associations demandent une juridiction spécialisée sur les violences intrafamiliales, un guichet unique qui prendrait en compte tous les aspects d'une affaire: les violences, le divorce, la garde des enfants, l'indemnisation... Avec des juges spécialises qui connaissent bien les situations et évitent des décisions de justice aberrantes", ajoute-t-elle.