Ils ont été les pionniers. Ceux qui ont érigé la France, pour la première fois de son histoire, au sommet. Avant ce fol été sur les pelouses tricolores, et cet Euro 1984 brillamment remporté, jamais les Bleus n'avaient triomphé. Aucun trophée international dans l'armoire et un surnom peu glorieux qui commence à coller à la peau des joueurs français : "les champions du monde des matches amicaux".
À l'époque, une autre maxime prévaut : "le football est un sport qui se joue à 11 contre 11 et à la fin, ce sont les Allemands qui gagnent". Champions d'Europe en titre, finaliste du dernier mondial deux ans auparavant, la Nationalmannschaft hérite à nouveau du statut de grand favori. Et pourtant, ce sont bien les hommes du regretté Michel Hidalgo qui s'empareront du trophée le 27 juin 1984 dans un parc des Princes enivré. Alors que les Bleus entament leur Euro 2024 ce lundi soir face à l'Autriche, trois des champions d'Europe de l'époque ont accepté de refaire le film de la victoire.
Le tournant de 1982
Un succès dont la Genèse remonte en réalité à 1982. Cette année-là, la France atteint les demi-finales de la Coupe du monde organisée en Espagne. Un joli parcours qui s'achèvera brutalement face à la RFA au stade Sanchez-Pizjuan de Séville. Une défaite aux tirs au but, mais surtout ce choc frontal d'une brutalité inouïe entre Harald Schumacher et Patrick Battiston. Le portier allemand sort au-devant du défenseur français dont la mâchoire se brisera en même temps que les rêves tricolores.
"Cet évènement a décuplé notre motivation, notre envie, notre désir", confie à Europe 1 Alain Giresse, 47 sélections au compteur et membre de l'équipe-type de l'Euro cette année-là. "On s'est dit qu'en 82, on avait réussi quelque chose. C'était inattendu, même pour nous. On a donc réalisé qu'on avait la capacité d'en faire plus et on a voulu s'appuyer là-dessus", poursuit le consultant football d'Europe 1. Un état d'esprit que nous avait également décrit Michel Platini en novembre 2022 dans le podcast Les Géants. "Quand on a été à la Coupe du monde en 1978, on était content d'y être. En 1982, on était content de passer le premier tour. Mais en 1984, on a joué pour le gagner cet Euro", expliquait-il au micro de Jacques Vendroux pour Europe 1.
Platini au plus haut des cieux
L'équipe de France se lance donc dans cet Euro à domicile avec la volonté de "remporter tous les matches". Et les Bleus relèveront le défi. Avec d'abord, un sans-faute en phase de poule et des victoires contre le Danemark (1-0), la Belgique (5-0) et la Yougoslavie (3-2). Des succès qui portent aussi le nom de Michel Platini, auteur de deux triplés face aux diables rouges et aux Yougoslaves et d'un but face aux Scandinaves. C'est encore lui qui offre la victoire aux Bleus en prolongations face au Portugal en demi-finale (3-2 a.p) et qui débloque la situation en finale face à l'Espagne (2-0) bien aidé par l'erreur, devenue célèbre, du gardien ibérique Luis Arconada, pourtant considéré comme une référence à son poste.
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Au sommet de son art, Platini, 9 buts en 5 matches disputés, endosse le costume d'architecte de la victoire pour ces Bleus désormais sur le toit de l'Europe. "En 84, Platini est le meilleur joueur du monde. Contrairement à 1978 ou 1982, là, il était en pleine possession de ses moyens", se souvient Maxime Bossis, défenseur central de cette équipe. Ce succès, les Bleus le doivent aussi à une bascule opérée sur le plan mental. "On s'est enfin dit 'Pourquoi pas ? Pourquoi ne pourrions-nous pas offrir un titre au football français ?'. Saint-Etienne (finaliste de la Ligue des champions en 1976 Ndlr) avait déjà ouvert la voie pour les clubs. Et nous, deux ans plus tôt, on avait démontré que oui, la France pouvait gagner un titre", expose Giresse.
Maxime Bossis et Alain Giresse (balle au pied) lors de la demi-finale face au Portugal.
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Source d'inspiration
Milieu défensif de cette équipe de France, Luis Fernández veut également saluer le rôle joué par le public. "On a senti cette ferveur dès le début. On a senti un peuple de France qui accompagnait son équipe, qui avait envie que son équipe aille le plus loin possible. À Marseille, lorsqu'on était sur le point d'être battu par le Portugal, ils nous ont poussés pour aller chercher cette victoire". Tous les ingrédients étaient enfin réunis pour que les Bleus soulèvent une coupe.
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Pourtant, au coup de sifflet final, malgré l'immense soulagement d'offrir cette consécration tant attendue au peuple tricolore, ces Bleus ont le triomphe sobre. "On a été invités à l'Élysée, mais il n'y a rien eu de particulier dans les semaines qui ont suivi. Après le match, on est tous retournés à la Fédé avec nos familles, nos épouses et puis on est allé dîner tranquillement. Il y avait quelques supporters - peut-être une cinquantaine - que l'on est allés saluer et puis on est retourné dans nos clubs dès le lendemain. Donc ç'a été très calme, ça n'a rien à voir avec ce que l'on peut voir aujourd'hui", relève Maxime Bossis.
De la simplicité, certes, mais une immense joie, évidemment. Et surtout, une source d'inspiration pour les générations futures. "Je pense qu'on a pu servir d'exemple à tous ceux qui ont composé la génération 1998. Ce premier titre a pu servir de détonateur pour montrer aux joueurs français qu'ils n'étaient pas inférieurs aux autres", conclut Bossis. Pour célébrer au mieux ce 40e anniversaire, les Bleus de 2024 n'ont qu'un chemin à suivre : celui emprunté jadis par leurs glorieux aînés.