Quatre jours après la casse de la tête de mât de Foncia qui les a contraints à abandonner sur la Barcelona World Race dont ils étaient deuxièmes, Michel Desjoyeaux et François Gabart sont arrivés samedi au Cap d'où ils devraient repartir en fin de semaine prochaine après avoir chargé le 60 pieds dans un cargo vers la Bretagne. Joint en Afrique du Sud, le «Professeur» nous a confié sa déception de voir l'aventure se terminer si vite. Quand êtes-vous arrivés au Cap ? On est amarrés à Cape Town depuis une heure (l'entretien a eu lieu samedi à 14h30, ndlr), on est dans l'enceinte du Team Shosholoza. On a rassemblé tous les morceaux, on a rangé le bateau, on démâte mardi, on déquille dans la foulée, puis on met le bateau dans un cargo, je ne sais pas encore lequel, et on part à la fin de la semaine prochaine. Une fois la casse constatée mercredi dernier, comment vous êtes-vous organisés ? On est intervenus le lendemain matin (jeudi, ndlr), le vent s'était bien calmé, la mer aussi, François est monté une première fois pour couper la drisse de grand-voile retenue dans le morceau de mât cassé, ce qui a permis de descendre la grand-voile puis le morceau de tube et tout ce qui était accroché dessus. Je l'ai ensuite remonté une deuxième fois pour aller passer une drisse de grand-voile et être à nouveau opérationnel pour essayer de sortir des mers du Sud le plus vite possible, car c'est quand même des endroits assez mal famés. Ce n'était pas la peine de laisser le bateau exposé, et pour ne pas être exposé, il faut être manoeuvrant et mobile, pour ça, il fallait absolument qu'on puisse remettre une grand-voile proprement établie et pas juste un bout de tissu qui reste accroché en l'air comme on était le premier jour. Ça nous a permis de bien marcher, d'avoir une bonne vitesse moyenne et de ne pas se faire prendre par quoi que ce soit derrière. Avez-vous pu inspecter le bout de mât cassé ? Oui. C'est une cassure relativement propre juste en dessous du capelage de solent et des haubans principaux, à 1,30 mètre sous la tête de mât. Si le morceau est tombé, c'est qu'il était totalement détaché du reste du tube, mais on a vu des mâts cassés avec plus d'effilochades de partout. Pouvez-vous déjà faire une première analyse ? Non, il va falloir récupérer tous les morceaux et se mettre autour d'une table avec tous les intervenants pour essayer de comprendre, pour l'instant, on n'a rien. A quand remonte votre dernière casse de mât ? La dernière fois que j'ai cassé un mât en course, c'était en 1987 en Formule 40, sinon, j'ai cassé une fois le mât de PRB et une fois celui de Géant. "Un plaisir que j'aurais bien aimé continuer de partager deux mois de plus" Comment se sont passés les quatre jours de mer pour rallier le Cap ? On a eu vachement de chance dans notre malheur puisqu'on a eu des conditions plutôt favorables pour revenir jusqu'ici, à savoir 30 noeuds de vent avec la mer du vent. Rien de catastrophique donc, ce qui nous a permis de revenir avec mieux qu'un gréement de fortune, puisque la partie basse du mât était toujours en place avec des haubans qui tenaient et des voiles dessus. On a pu naviguer avec deux ris et le petit foc, on était même capables de prendre des ris. Avec en plus quasiment pas de dégâts sur la plateforme, puisque les filières sont en place, alors que ce qui arrive souvent dans pareil cas, c'est que tu te retrouves avec plus rien sur le pont et partir manoeuvrer devient une aventure presque plus compliquée que de faire un tour du monde. De ce point de vue, on s'en sort pas mal, car ça aurait pu nous arriver dans 60 noeuds de vent, dans de l'eau à 4 degrés et loin de tout. Là, on a pu sécuriser assez rapidement matériel et équipage à Cape Town. Maintenant, on n'avait pas prévu ce scénario, mais c'est un sport mécanique, on sait que ça peut être très dur, ça l'est, ces quatre jours-là nous ont permis de digérer notre déception. Qui a été grande, on imagine, d'autant que c'était votre dernière sortie sur le monocoque Foncia ? Oui, on n'était pas partis pour s'arrêter au bout d'un mois. Quand je m'inscris au départ d'une course, ce n'est pas pour enfiler des perles. D'autant plus que la bagarre était belle et que nous attendaient encore de belles glissades, on était en train de se livrer à une super bagarre avec Virbac en tête de la course. On avait quelques dizaines de milles de retard, mais à l'échelle d'un tour du monde, ce n'est vraiment pas grand-chose, j'en sais quelque chose... Mais voilà, il faut vivre avec ça et passer à la suite... Quel bilan faites-vous de votre petit mois de course, déjà au niveau humain ? C'est d'autant plus frustrant que ça se passait super bien, on fonctionnait bien tous les deux, on échangeait bien, on progressait. On ne se connaissait pas beaucoup avant de partir, et si j'avais déjà apprécié à sa juste valeur ses qualités de compétiteur, là, j'ai pu apprécier en plus ses qualités de marin, car on a quand même eu des conditions un peu plus musclées que la Baie de La Forêt-Fouesnant... Et plus récemment lors de l'avarie, les qualités humaines du bonhomme, c'était un plaisir que j'aurais bien aimé continuer de partager deux mois de plus. Et le bilan au niveau des performances du bateau ? C'est un bon bateau, il y a moyen de le faire progresser, c'est ce qu'on va proposer au futur propriétaire, mais les fondamentaux sont là : le bateau va bien, il a donné satisfaction, il est agréable à naviguer, on a pris beaucoup de plaisir dessus depuis qu'il est à l'eau. En quoi peut-il encore être amélioré ? On savait en faisant ce bateau-là qu'on était obligés de faire des impasses sur certaines choses dans la mesure où on avait un planning de mise au point court et des courses juste derrière. Là, avec un peu plus de temps, on va pouvoir rajouter des options que l'on connaissait et sur lesquelles j'avais fait l'impasse. C'est un peu comme quand vous allez chez votre concessionnaire automobile, il vous propose le modèle standard et vous donne la liste des options. Nous, il y avait des options qu'on n'avait pas prises pour ne pas se mettre dans le rouge. Mais ça n'a pas été rédhibitoire puisqu'on était quand même deuxièmes à quarante milles du premier après un tiers de course... Les différences entre les nouveaux bateaux et ceux de la dernière génération sont-elles sensibles ? Il y a des différences, heureusement, sinon ça ne vaudrait pas le coup de faire des bateaux neufs... Maintenant, quand on regarde ce que fait Mapfre (l'ancien Foncia, ndlr), s'il était venu avec nous le long du Brésil, on serait repartis quasiment ensemble devant Recife. Ça prouve que le bateau tient pas mal la cadence, la flotte reste homogène. Avez-vous pu tirer sur Foncia beaucoup plus que lors de la Route du Rhum ? Heureusement qu'en double on fait mieux qu'en solitaire, sinon ça ne servirait à rien de monter à deux ! Tout simplement parce que tu as tout le temps quelqu'un sur le pont, si ce n'est à la barre, au moins aux réglages et à suivre les sensations du bateau. Dans certaines conditions, on est à 100% du bateau. Ce qui, souvent, limite les performances du bateau par rapport à son plein potentiel, c'est l'état de la mer, pas le fait d'être à deux. A deux, tu es quasiment capable d'exploiter tout en permanence. La suite du programme ? On a ce chantier à faire sur le 60 pieds, ensuite, on bascule sur Décision 35, l'équipe est en train de préparer celui avec lequel naviguait jusqu'ici Alain Gautier sur le Lac Léman et sur lequel on va naviguer toute la saison, en attendant le MOD70 pour la fin de l'année. Ce 60 pieds n'est plus pour moi dans deux mois. Il est bien pour Banque Populaire ? Je vous laisse la responsabilité de vos propos...