Sur les étagères sport et football, il y a les autobiographies sans couleur ni saveur, les hagiographies sans discernement et les élans quasi philosophiques sur le jeu. Mais les livres qui racontent sans détour les coulisses du sport n°1 dans le monde ne sont pas nombreux. Il y a trois ans, un joueur anglais avait levé une partie du voile sur son quotidien, entre folles soirées, entraînements répétitifs et petits arrangements en tous genres : The secret footballer. Hugo Sport, qui avait traduit et édité ce livre (et sa suite, plus analytique, moins passionnante), remet le couvert avec Je suis le footballeur masqué (sortie le 22 janvier), footballeur dont l'identité se révèle peu à peu au fil des pages...
Des piques mais rien de tranchant. Pour ce qui est du contenu, difficile de dire que l'ouvrage se distingue de son "modèle" anglais. Les filles faciles, les avantages (et les affres) de la notoriété, la jungle des contrats, les luttes de vestiaire : tout cela a un air de déjà-vu. Mais la grande différence est que ce footballeur masqué a évolué en France. Et que les noms qu'il donne nous sont familiers. On apprend ainsi que la femme de Bernard Mendy tenait à sa (bonne) place en tribune, que Luis Fernandez aimait taquiner les cartes avec les joueurs espagnols de son effectif ou qu'il arrivait à Thierry Henry d'appeler les journalistes qui avaient eu l'outrecuidance de dire du mal de lui. Rien de bien méchant mais du croustillant. Évidemment, ce livre se lit à un double niveau : les révélations que l'on nous fait et l'identité que l'on nous cache.
L'auteur lâche des infos : cinq clubs en France, dont l'OM et le PSG, un passage de trois ans en Russie, un à Chelsea... Rapidement, on comprend que ce profil n'existe pas. Qu'il a été modifié à la marge afin de tromper le lecteur (et les acteurs cités ?). L'éditeur de l'ouvrage le dit lui-même dans le prologue : "la biographie du footballeur masqué comporte de nombreux pièges". Et l'on peut penser que les passages en Russie, à Chelsea ou à Lille sont des inventions. Car, dès les premiers chapitres, se dessine l'identité d'un candidat potentiel : Edouard Cissé.
Edouard Cissé lors de son arrivé à l'OM en 2009. Le "footballeur masqué" parle beaucoup de Diawara, Deschamps et Lucho...
"Grand black" et "bon joueur". Les indices nous conduisant à lui sont nombreux : "Grand black" "taiseux", il a connu cinq clubs en France (PSG, OM, Monaco, Marseille, Auxerre), a connu le PSG époque Simone, Anelka, Lacombe, Halilhodzic, l'OM version Deschamps ou encore Raymond Domenech entraîneur (Cissé a été chez les Espoirs).
Et s'il dit avoir joué à Lyon et à Lille, il ne livre aucune anecdote sur ces deux clubs et préfère évoquer les venues du Prince dans le vestiaire de Monaco (soit-disant raconté par Rothen) ou la destinée de plusieurs stars auxerroises, dont celle d'Olivier Kapo, que Cissé a côtoyé à Auxerre lors de la saison 2011-12. Dans le récit, on peut penser que West Ham peut se substituer à Chelsea (club de Londres où a évolué Cissé) et que l'expérience de trois ans en Russie a en réalité été un contrat de deux ans avec le club stambouliote de Besiktas, en Turquie.
Au-delà du parcours, il y a également plusieurs autres indices ici ou là qui nous conduisent à Cissé : son goût pour les "passes claquées", ses références multiples au rôle de milieu de terrain, mais aussi plusieurs aveux qui correspondent assez bien au footballeur : "je n'étais pas une star mais dans ma carrière, j'ai touché tous les titres" (champion avec l'OM, vainqueur de la Coupe de France avec le PSG et de la Coupe de la Ligue avec le PSG et l'OM) ou encore "moi, je me classe dans les bons joueurs, ceux qui ont fait le boulot". Le "footballeur masqué" évoque également sur la longueur Souleymane Diawara et Mamadou Niang, deux internationaux sénégalais. En 2009, Cissé fut ainsi sélectionné par le Sénégal, pays dont il est originaire (sans jouer car l'OM refusa, ndlr).
Évoquant les sollicitations de la presse, le "footballeur masqué" se plaint également d'avoir été trop souvent interrogé. "Ça va, c'est bon, tu n'es pas le consultant de la chaîne. Pas encore", écrit-il ainsi. Pas encore... Cissé fut consultant pour la chaîne beIN Sport en 2012. Et puis, il y a ce long passage sur les jeux vidéo, qui peuvent favoriser, selon son auteur, la cohésion d'un groupe. Or, en 2012, Cissé avait consacré l'une de ses tribunes (déjà) sur Rue89 sur le sujet, comme l'ont relevé nos confrères du Journal du dimanche. Il y racontait que son entraîneur au Besiktas s'était montré conciliant avec ses joueurs qui s'étaient rassemblés pour jouer à 10 ou 12 dans une chambre. Dans le livre, la scène se déroule en Russie. C'est la seule différence. Et le doute se lève.
La maison d'édition n'a-t-elle pas assez protégé l'identité de son poulain ? Ou l'a-t-elle au contraire laissé volontairement apparaître ? Là est peut-être le vrai mystère. Car, sans vouloir manquer de respect à Edouard Cissé, qui aujourd'hui aurait acheté ses mémoires ? Alors qu'un ouvrage écrit par un footballeur masqué...