Nous sommes le 8 juillet 1984, à Los Angeles. Ce jour-là, douze ans avant le sacre de Jean Galfione, 28 avant celui de Renaud Lavillenie, la perche française place un de ses représentants au sommet : Pierre Quinon, aujourd'hui disparu. Avec un saut à 5,75 m, l'athlète varois devance deux perchistes américains, Mike Tully et Earl Bell, et son compatriote Thierry Vigneron. Pas de Sergeï Bubka, 20 ans à peine et déjà champion du monde. Pas de Kostantin Volkov non plus, son dauphin lors des Mondiaux d'Helsinki en 1983.
Quatre ans après les Jeux de Moscou, boudés par 51 pays à commencer par les Etats-Unis, leur pays, l'URSS, a en effet décidé de boycotter les Jeux olympiques de Los Angeles, privant la manifestation de près de deux tiers des médaillés de Montréal, en 1976. "C'est un regret cruel", estime à l'époque Jean-Claude Perrin, entraîneur de Quinon et Vigneron, et farouchement opposé à l'idée de boycott. "Je suis scandalisé que les Russes n'aient trouvé que ça comme moyen car, sur le plan de l'action politique, ce n'est pas très efficace".
ARCHIVES - "Je suis très peiné pour les athlètes russes" :
Outre l'URSS, quatorze autres pays issus du bloc soviétique boycottent ces Jeux de Los Angeles : l'Afghanistan, l'Allemagne de l'Est, l'Angola, la Bulgarie, Cuba, la Corée du Nord, l'Ethiopie, la Hongrie, le Laos, la Mongolie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, le Yemen du Sud et le Vietnam. Trente ans après, ces Jeux "tronqués" laissent toujours un goût amer à Jean-Claude Perrin, toujours consultant sur Europe 1. "On a regretté que les athlètes russes ne soient pas là, ainsi que ceux des pays de l'Est et quelques Africains", se souvient-il. "Quand on voit le peu d'impact, on se dit que c'est stupide de détruire l'esprit et l'image des Jeux pour si peu de résultats."
"C'est stupide de détruire l'esprit des Jeux" :
Jusqu'à quelques mois avant la compétition, le comité international olympique (CIO) a tenté de convaincre les Soviétiques de venir. En vain. Le couperet tombe le 8 mai. L'URSS, dirigée par le conservateur Konstantin Tchernenko, héritier de Leonid Brejnev, refuse de participer aux Jeux de LA. La principale raison avancée : les conditions de sécurité des athlètes ne seraient pas réunies dans une ville jugée criminogène. Mais, en réalité - et les autorités soviétiques le reconnaîtront à demi-mot plus tard -, l'explication à cette absence tient en un mot : revanche.
Quatre ans après le boycott des Jeux de Moscou, orchestré par les Etats-Unis pour dénoncer l'intervention en Afghanistan, l'URSS entend rendre la pareille au géant américain, mais sans perdre la face. Impossible de vanter les mérites de l'arme du boycott, qu'elle qualifiait quatre ans plus tôt de "chantage". Ni de parler ouvertement d'une revanche. Alors, on accuse ces Jeux de tous les maux : "Jeux de l'argent, du crime et de la politique". L'URSS stigmatise également l'utilisation "chauvine" que Ronald Reagan entend faire de ces Jeux, à quelques mois de la présidentielle américaine.
De fait, la bannière étoilée va effectivement flotter bien haut dans le ciel du Los Angeles Memorial Coliseum. Si Quinon connaît la consécration, la piste d’athlétisme voit surtout le triomphe d’un certain Carl Lewis, sacré champion olympique à quatre reprises (photo). A l’instar de "King Carl", la délégation américaine rafle tout ou presque : 174 médailles contre 53 au pays classé deuxième (la Roumanie !). Bougonne, l'URSS organise quelques semaines plus tard une compétition succédanée et guère médiatisée, les Jeux de l'Amitié. Et assiste, en novembre, à la réélection dans un fauteuil de l'"ennemi" Ronald Reagan...
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