Dans la nuit de mardi à mercredi*, les San Francisco Giants ont l'occasion de remporter les World Series pour la troisième fois en cinq éditions, après 2010 et 2012. Pour inscrire le point décisif face aux Kansas City Royals, la franchise californienne comptera sur son lanceur titulaire Jake Peavy, barbu. Avant lui, Madison Bumgarner (par deux fois) et Yusmeiro Petit, ont permis aux Giants de prendre l'avantage 3 victoires à 2. Barbus eux aussi. Et d'autres joueurs majeurs des Giants ont également égaré leur rasoir : Brandon Belt, Hunter Pence, Pablo Sandoval... Les Royals ne sont pas en reste : Greg Holland, Alex Gordon, Danny Duffy ou encore Eric Hosmer sont barbus. Alors, la barbe est-elle devenue un attribut obligatoire pour jouer au baseball ?
Les joueurs des Royals élisent leur plus belle barbe :
"C'est une tradition qui se fait généralement en début de play-offs dans les sports américains", explique Samyr Hamoudi, commentateur du baseball et du football américain sur BeIn Sports. "Ce n'est pas une tradition propre au baseball, c'est une tradition qui est d'abord venue dans le hockey, en NHL. Les hockeyeurs l'ont beaucoup fait au tournant des années 1980-90. En baseball, c'est surtout apparu au début des années 2000, et notamment en 2004, avec les Red Sox de Boston, quand ils ont remporté les World Series après 86 ans de disette. D'autres équipes s'en sont ensuite inspiré." Et notamment les mêmes Red Sox, l'an dernier (photo). Le principe est le même qui celui qui prévaut dans nos contrées lors des fameuses "aventures" en Coupe de France de football. Tant qu'on est qualifié, on ne se rase pas.
Et ce principe est peut-être d'autant plus important en baseball où les efforts sont d'abord individuels. "De prime abord, c'est un sport individuel mais c'est peut-être aussi le sport le plus collectif qui soit, parce que la performance individuelle impacte le collectif", insiste le journaliste de BeIn Sports. "Mais oui, ça peut être un élément fédérateur. On est dans sa bulle (dans sa barbe ?, ndlr), quand on passe au bâton ou quand on est lanceur. Au final, le simple fait de ressembler à son partenaire peut fédérer."
L’influence de Brian Wilson. Pour autant, la vague de la barbe dépasse largement le cadre de l'aventure des play-offs. Une étude du Wall Street Journal parue en 2013 indique ainsi que, sur les 912 joueurs de ligue majeure, 58% portaient un attribut sur le visage, moustache ou barbe. "Oui, c'est vrai, il y a une épidémie de barbe", relevait en juillet dernier Brian Wilson, lanceur de relève des Los Angeles Dodgers (photo), dans le LA Times. "Je pense que plus de gens en porteront, plus les gens seront à l'aise avec le fait d'en porter une."
La barbe de Wilson, longue et teinte en noir, a crevé l'écran lors des World Series 2010, quand il était le lanceur finisseur des Giants. "Il avait une barbe énorme, c'était un style qu'il se donnait", relève Samyr Hamoudi. "Au fil du temps, plusieurs joueurs des Giants s'en sont inspirés." A l'époque, le public a suivi, le marketing aussi, entre la catchline "Fear the beard" ("craignez la barbe") et les publicités pour ESPN ou les jeux vidéos de 2K Sports. La barbe en MLB n'est donc pas qu'une affaire de collectif, elle est aussi, et peut-être d'abord, une affaire de choix personnel.
De négligé à réfléchi. Lanceur des Anaheim Angels, le débutant Matt Shoemaker expliquait ainsi l'été dernier : "je l'ai laissée pousser l'hiver dernier, ce qui était plus de la fainéantise qu'autre chose. Je ne pensais pas garder une barbe aussi longue durant la saison. Mais ça marche, donc je continue." Son vis-à-vis des Dodgers, Clayton Kershaw, explique que la barbe joue également un rôle dans le duel qu'il livre avec le batteur. "Ça relève également de l'intimidation", explique-t-il, confortant l’idée que la mode de la barbe est surtout prégnante chez les lanceurs. "Je parais si jeune sans barbe. Je ne veux pas que les adversaires croient qu'ils affrontent quelqu'un de douze ans."
Preuve que le baseball est une affaire sérieuse aux Etats-Unis, le quotidien The Washington Post a même réalisé cet été une animation avec les différents types de barbes pour chaque équipe et au sein de chaque équipe, pour chaque joueur ! La diversité des looks - et la présence de barbes - renvoie également à une diversité ethnique plus sensible qu'en NFL ou en NBA, avec de nombreuses vedettes venues d'Amérique du Sud, d'Amérique centrale ou du Japon.
S'il nous paraît aujourd'hui logique qu'un joueur de baseball puisse disposer de son visage comme il l'entend, ça n'a pas toujours été le cas. En effet, la barbe a longtemps été interdite en MLB. Il a fallu attendre l'impétueux Reggie Jackson (ci-dessous à gauche) en 1972 pour briser une logique qui avait cours depuis... 1914 !
Reggie Jackson and Gene Tenace, 1976. http://t.co/n6N7HLer4f#StarsAndStrikes— Dan Epstein (@BigHairPlasGras) April 28, 2014
Pourquoi ? Au-delà de la présentation, certains dirigeants considéraient qu'une moustache mal taillée pouvait polluer la vision et les réflexes, qui jouent évidemment un grand rôle dans le baseball. Les New York Yankees sont aujourd'hui la dernière franchise à interdire à ses joueurs le port d'une barbe. Jackson, comme d'autres après lui, se sont affirmés avec leurs gants et leurs battes mais aussi avec leurs poils au menton. Les barbus ont permis la libéralisation d'un sport aux valeurs assez conservatrices. Mais, devenue la norme aujourd'hui, la barbe, plus ou moins fournie, devrait logiquement bientôt perdre de sa superbe. Et le visage de bébé du Giant Buster Posey est sans doute amené à redevenir la nouvelle tendance de demain...
*Le match est diffusé en direct sur BeIn Sports 3 à partir de 2h du matin