"Vous connaissez Rai ?" Le chauffeur de taxi me regarde en fronçant les sourcils. "Bah oui, l'ancien joueur de la Seleçao et de Paris…" "Ah oui ! Ra-í", s'exclame-t-il, en instant sur l'accent tonique final de son nom. "Je sais où habite sa famille, montez !"
Raí Souza Vieira de Oliveira, élu joueur du siècle par les supporters du PSG, est originaire de Ribeirão Preto, à environ 300 km au nord de São Paulo, où l'équipe de France a pris ses quartiers lors de ce Mondial. La ville, surnommée la "Californie" brésilienne, est célèbre pour son insolente réussite économique. De grands édifices en verre côtoient de célèbres fast-foods, des magasins de vêtements avec voituriers et pickups flambant neufs… Sa fortune s'est construite au fil des années sur les grandes exploitations agricoles, notamment la canne à sucre, en périphérie de la ville.
Socrates, "le meilleur" en foot. Son enfance, Raí l'a passée dans le quartier de Sumaré sur les hauteurs de la ville, dans une petite maison de plain-pied, rue Arthur Bernardes. Il a vécu ici avec ses cinq frères, dont le défunt Sócrates, l'international brésilien longiligne et barbu, qui participa à la Coupe du monde 1982 et 1986. "Tous les deux ont joué dans le club de Botafogo à Ribeirão Preto. Raí était plus réservé, Socrates plus accessible. Mais pour moi le meilleur des deux en foot, c'était Sócrates", affirme sans hésiter ce chauffeur de taxi.
Raimar, le frère de Raí :
Des frères avec des noms de philosophes. Le quartier n'a plus rien à voir avec l'endroit qu'ils ont connu lorsqu'ils étaient adolescents. A l'époque, seulement quelques maisons, de grandes pelouses, des champs de cannes à sucre. Aujourd'hui, Sumaré s'est embourgeoisé et les villas cossues ont fleuri. Je sonne à la porte de la maison familiale. Raimar, son frère aîné, le 5e de la fratrie de six, m'ouvre. Malgré la réussite familiale, la maison n'a rien d'ostentatoire. Une terrasse avec quelques fauteuils, un petit jardin, quelques chambres très simples, un petit terrain de foot aujourd'hui reconverti en garage à voitures.
Sostenes, Raimundo filho, Socrates, Raimar, Rai, Sofocles :
C'est ici que Raimundo, le père, et Guiomar, la mère, tous deux fonctionnaires publics, ont élu domicile après avoir vécu à Belém, dans le nord du pays. "Mon père savait qu'en venant dans l'état de São Paulo, il aurait une meilleure carrière", raconte Raimar, qui m'invite à s'asseoir à sa terrasse. Il s'est donc établi dans la quiétude de Ribeirão Preto avec ses quatre fils déjà nés. Raimundo, passionné par les philosophes grecs, avait appelé ses premiers enfants Sócrates, Sófocles et Sóstenes. Il voulut poursuivre la série mais finalement sa femme l'en dissuada. C’est finalement un petit garçon prénommé Raí qui naîtra ici, le 15 mai 1965, un an tout juste après le coup d'Etat qui installa la dictature militaire au Brésil.
Raí et sa mère :
Doué dans tous les sports. Malgré les problèmes politiques, l'ancien milieu de terrain du PSG a eu une enfance "parfaite", comme il la qualifie lui-même, au sein d'une famille "harmonieuse" de la classe moyenne supérieure brésilienne. "Celle qu'à l'époque, je voulais pour mes enfants", nous confiera Rai dans la foulée de notre visite dans sa maison familiale, dans un entretien téléphonique accordé depuis São Paulo, où il se trouvait. Il y avait un "esprit de province ici. Je pouvais prendre mon vélo et aller me balader tranquillement", se souvient le champion de France 1994.
Pendant que sa mère très âgée se repose, Raimar m'invite à entrer dans la petite chambre qu'il partageait avec Raí. Ils étaient très proches et faisaient à peu près tout ensemble : les études, les parties de foot presque tous les après-midis, les fêtes. "C'était un garçon joyeux qui aimait s'entourer de ses amis. Il restait des heures dans la rue à jouer avec ses frères", se souvient Raimar. "Raí était timide mais il avait beaucoup d'humour et était toujours sincère", se souvient avec un large sourire, Marcelo Petersen, un ami d'enfance, rencontré dans un petit restaurant de Ribeirão Preto.
A la piscine du club de Ribeirão :
C'est au sein de l'établissement catholique "Marista" qu'il effectue ses premiers pas sportifs. Il était déjà doué à peu près partout : basket, volley, handball et bien sûr football. Raimundo, le père très rigide, a toujours insisté pour que ses enfants fassent de l'exercice physique. "En premier les études, et en deuxième le sport. C'était comme ça pour tous mes frères", atteste Raimar, qui a lui-même été joueur professionnel de basket. Leur père n'a cessé de leur inculquer des valeurs de travail et de réussite. "Il venait d'une famille modeste de l'Etat du Ceara. De lui-même, il a réussi ses études et a donné une stabilité à notre famille. Tout le monde le voyait comme ça", rappelle-t-il.
Raí, lui, avait toujours "10/10 en sport et trois ou quatre dans les autres matières", raille gentiment son compagnon de cours Marcelo. En grand sportif qu'il était, lorsqu'il ne tapait pas dans le ballon, il dormait. "C'était pas toujours facile de le sortir du lit", rigole encore son copain d'enfance.
A 17 ans, une fille et un contrat pro. Mais Raí a eu son adolescente quelque peu écourtée. A 17 ans, il se marie avec "Tina" et, peu de temps après, naît sa première fille Emanuela. "Il est passé de la préadolescence à l'âge adulte très rapidement. Toutes les responsabilités lui sont tombées dessus d'un seul coup. Tout ça n'était pas prévu dans sa tête. Ça a été une surprise", se remémore son frère Raimar. Mais heureusement, parmi ses amis, "c'était le plus mature de nous tous", renchérit Marcelo Petersen.
Dans un bar avec des amis de Ribeirão :
Cet événement dans sa vie lui sert d'accélérateur dans sa carrière sportive. Il a désormais des responsabilités et une famille à assumer. Raí va voir le président du Botafogo FC et réclame un contrat professionnel. Si le dirigeant n'avait pas accepté, il serait sans doute allé voir ailleurs ou aurait carrément changé de profession. "J'étais un rêveur. Je n'étais pas sûr de vouloir devenir pro. J'adorais le foot mais jusque-là, je ne prenais pas ça au sérieux. A l'époque, je voulais prendre mon sac à dos, découvrir le monde, comme un jeune de mon âge", affirme encore Raí à Europe 1. Avec son sésame en poche et ses compétences hors-normes sur le terrain, tout s'accélère.
Alors qu'il habite avec sa femme dans un appartement de Ribeirão Preto, il est convoqué en équipe nationale pour la première fois en 1987. "Je me souviens, ça été une grande fête. Au début, il n'y croyait pas. Il pensait que c'était une blague parce que la Seleçao était déjà en voyage et il y a eu un blessé", se souvient Raimar.
Sa première convocation en équipe nationale :
L'influence de Sócrates et de son père. Son frère Sócrates, qui était déjà joueur professionnel, a eu une grande influence dans sa carrière. "Je l'ai d'abord suivi comme supporter. C'était mon frère mais aussi mon idole", assume Raí. "Les deux étaient assez distants car Socrates était le plus vieux, Raí le plus jeune. Mais je crois que pour Raí, Sócrates était un modèle. La réussite de Sócrates l'a inspiré. Il s'est dit qu'il pouvait lui aussi être un bon professionnel de foot", confirme leur frère, Raimar.
Raí quitte sa ville natale et débarque en 1987 au São Paulo FC avant de rejoindre le PSG six ans plus tard. Il a eu plusieurs offres de clubs espagnols mais la culture française l'intéressait. Aujourd'hui, consultant pour différents médias (dont Europe 1 durant la Coupe du monde), il continue, avec son ami Leonardo, l'ancien directeur sportif du PSG, à développer son association, "Gol de letra" qui vient en aide aux adolescents défavorisés du Brésil. Il a également d'autres projets en tête. Comme il l'a confié à Europe 1, Raí va publier, en mai 2015 au Brésil, un livre de photos sur sa vie pour son 50ème anniversaire. Nul doute que sa petite ville de Ribeirão Preto y sera en bonne place.
Rai avec Socrates et ses copains de la Seleçao (Dunga, Carlos Mozer) :
VIDEO - Dany's Day - Sócrates
RECIT - Les "petites histoires" du Botafogo FC
VIDEO - Dany's Day - Gol de Letra
VIDEO - Raí : "L'équipe qui impressionne le plus c'est la France"