Dire que Roger Lemerre ne jouit pas en France de la même reconnaissance qu'Aimé Jacquet est un doux euphémisme. Pourtant, le technicien natif de Bricquebec, dans la Manche, qui fut l'adjoint de "Mémé" lors du Mondial 1998, a lui aussi porté la génération Zidane au sommet, avec un succès à l'Euro 2000 (seul trophée majeur remporté par les Bleus hors des frontières de l'Hexagone). Ce n'est que l'Euro, me direz-vous, mais à cette époque, la compétition continentale valait bien une Coupe du monde.
Alors pourquoi un tel sentiment envers le tout nouvel entraîneur de Sedan ? Sans doute parce que Lemerre est parti sur un échec retentissant, celui de la Coupe du monde 2002, où les Bleus avaient été éliminés dès le premier tour, avec deux défaites, un match nul et zéro but marqué, malgré un groupe de joueurs très fort et une poule d'adversaires très faible.
Le tempérament affirmé du monsieur et sa communication atypique - phrasé posé, ton parfois énigmatique - n'ont pas aidé à sa popularité. Plus de 15 ans après son licenciement par la Fédération française, Lemerre est de retour aux affaires sur ses terres. Pas dans un club de Ligue 1, non, mais à Sedan, ancienne gloire du foot français aujourd'hui en National, le troisième échelon national.
Roger Lemerre rencontre ses nouveaux joueurs devant la caméra de France 3 :
Il n'est pas resté inactif. S'il n'avait plus travaillé en France depuis son passage à la tête des Bleus, Roger Lemerre n'en est pas resté inactif pour autant. Quelques semaines seulement après son limogeage, Lemerre récupère une équipe nationale, la Tunisie. Et, quatre ans après avoir été champion d'Europe, Lemerre est devenu champion sur un autre continent, l'Afrique, grâce au succès de la Tunisie à domicile lors de la CAN 2004. Non prolongé en 2008 après une expérience décevante au Mondial 2006 (élimination au premier tour avec un nul et deux défaites), Lemerre prend cette fois en mains le Maroc, sans succès cette fois. Il quitte la direction des Lions de l'Atlas après un an seulement.
Ses expériences suivantes, en Turquie (Ankaragücü) puis à nouveau en Afrique (CS Constantine puis Etoile sportive du Sahel), durent une saison au moins. Il ajoute néanmoins une Coupe de Tunisie à son palmarès. Sans club depuis 2014, il a donc choisi de reprendre du service, lui l'ancien sélectionneur de l'équipe de France militaire (championne du monde en 1995), à Sedan, un club qu'il connaît bien...
Il revient à la maison. Car oui, Lemerre n'a pas seulement choisi de revenir à Sedan pour goûter à la douceur de vivre ardennaise. Il est également lié intimement au club, avec lequel il a débuté joueur, en... 1961 ! En tout, Lemerre a porté le maillot du CSSA pendant huit saisons, jusqu'en 1969. Avec les Sangliers, Lemerre a même remporté l'Etoile d'or de France Football à trois reprises (1966, 68 et 69) et a été finaliste de la Coupe de France, en 1965. Cinquante ans plus tard (oui, 50 ans !), Roger Lemerre est donc de retour chez lui.
Yannick Noah, fils de Zacharie, ancien joueur du CSSA, a salué la nouvelle sur Twitter :
Roger Lemerre à #Sedan!! Magnifique!! Allez les Sangliers des Ardennes !!!!!!!!
— Yannick Noah (@NoahYannick) January 6, 2016
Il s'inscrit dans un projet. Mais ce retour n'est pas seulement une affaire de cœur. En effet, depuis son dépôt de bilan en 2013 et sa rétrogradation en CFA2 (5e division), le CSSA a été repris par les les frères Marc et Gilles Dubois, patrons d'Aplus, entreprise spécialisée dans les maisons de retraite et le domaine spa-balnéothérapie. La mayonnaise, alimentée par de l'argent frais, n'a pas tardé à prendre et le CSSA s'est peu à peu mué en une sorte de "PSG du monde amateur", avec deux montées successives, du CFA2 au CFA puis du CFA au National. Mais surtout, les frères Dubois ont conclu un accord avec le prince Fahd bin Khalid Faisal, neveu du roi d'Arabie saoudite, pour une prochaine entrée au capital du club. Le rachat du club (partiel ? total ? Les détails de l'opération ne sont pas connus) a pour toile de fond un partenariat plus large entre Aplus et le prince pour la construction dans son pays d'un établissement pour le traitement de l'obésité et du diabète. Le but des futurs investisseurs saoudiens est de retrouver rapidement la Ligue 1, que le club ardennais a quittée en 2007.
L'arrivée de Lemerre s'inscrit-elle dans ce projet ambitieux ? "Il n'y a pas vraiment de relation de cause à effet", insiste au micro d'Europe 1 Gilles Dubois, président délégué du club. "Le dossier saoudien, ça fait trente mois qu'on est dessus. C'est vrai qu'indirectement, autant les Saoudiens peuvent représenter une caution en soi autant Lemerre est une caution sportive pour l'ensemble. On a crédibilisé notre projet. Mais notre projet, on l'a écrit il y a deux ans et demi quand on a repris le club. Et aujourd'hui, on n'en changerait pas une virgule.Les éléments du puzzle se mettent en place afin de nous faire revenir au niveau que l'on souhaite, à savoir le niveau professionnel." En attendant, Lemerre fera ses premiers pas sur le banc sedanais, vendredi soir, sur la pelouse de Châteauroux.