L’AJA, son centre de formation réputé et son champêtre stade de l’Abbé-Deschamps passent sous pavillon chinois. La vente d’Auxerre au géant de l’emballage alimentaire ORG Packaging pour environ 7 millions d’euros sera ainsi officialisée jeudi. Un changement radical pour le club bourguignon, monument du foot français actuellement en Ligue 2. La cession d’Auxerre n’a pourtant rien de surprenant : Sochaux et Nice sont détenus en majorité par des investisseurs de l’Empire du Milieu, tandis que l’Olympique Lyonnais a cédé cet été 20% de son capitale à un fonds chinois. Car pour la Chine, les investissements dans le foot français répondent à une stratégie réfléchie et impulsée au plus haut niveau.
- Le foot, objectif national en Chine
En un an, la Chine a déversé des tonnes d’argent dans le football. Les clubs locaux ont ainsi dépensé près de 260 millions d’euros au dernier mercato hivernal, alors que les entreprises chinoises ont acheté plusieurs équipes européennes, dont les deux géants de Milan, l’AC et l’Inter. Une stratégie dépensière qui répond à la volonté du pouvoir de développer le football local, dont l’équipe nationale, seulement qualifiée pour le Mondial 2002, est un nain au niveau mondial. "Le président chinois Xi Jinping a donné trois objectifs : se qualifier à la Coupe du Monde, l’organiser et la gagner. Parmi les étapes, il y a le fait que des entreprises chinoises s’intéressent au foot et investissent dans des équipes européennes", explique Michel Desbordes, expert en marketing du sport interrogé par Europe 1.
Mais pour la Chine, l’intérêt n’est pas que sportif. Investir dans le foot fait partie intégrante de la stratégie diplomatique, du "soft power", à la manière de ce qu’a fait le Qatar avec le PSG, par exemple. "Pour une société chinoise, même un investissement de 100 millions d’euros n’est pas très important pour se développer sur le marché européen. Quand on a beaucoup d’argent et qu’on a besoin de se construire une image, le foot est très intéressant", assure Michel Desbordes. Le foot français, réputé au niveau mondial, est une cible idéale pour les groupes chinois.
- La volonté d’importer la "formation à la française"
La principale raison de cet investissement dans l'Hexagone reste cependant la fameuse "formation à la française". En achetant Sochaux et Auxerre, deux fleurons du foot tricolore en la matière, la Chine espère donc importer, voire copier les méthodes françaises pour élever le niveau de jeu des joueurs locaux.
"Quand on prend des participations dans des clubs, comme l’AC Milan ou l’OL, c’est aussi pour monter des académies de football en Chine, où les clubs européens apporteraient leur expertise. Les joueurs chinois pourraient aussi venir en Europe et progresser", soutient Michel Desbordes. Alors, bientôt une star du foot chinois en Ligue 1 ?
- Les clubs français, des opportunités à moindre frais
Moins réputé que ses homologues anglais, espagnol ou italien, le foot francais de club n'en reste pas moins attractif. Acheter un club tricolore revient, de fait, nettement moins cher pour un investisseur étranger. "Auxerre a un doublé intérêt : c’est à la fois un club connu et pas cher. Les investissements en Ligue 2 ne sont pas très importants au départ. C’est un investissement qui semble judicieux, comme Sochaux il y a quelques années. Ce sont des clubs de petite taille, mais capables d’amener une expertise", appuie Michel Desbordes.
Pour les clubs de standing plus élevé, le constat est le même. L'OGC Nice a été racheté à 80% par des investisseurs sino-américains pour "à peine" 21 millions d'euros, tandis que l'OL a vendu 20% de ses parts pour 100 millions d'euros. En comparaison des 525 millions pour obtenir 70% de l’Inter Milan et des 740 millions pour l’intégralité de l'AC Milan, le ticket d'entrée reste (relativement) abordable.
- La LFP en veut plus
Confronté à une baisse des affluences dans les stades et à une situation financière difficile, le foot français rêve d'attirer encore davantage d'investisseurs étrangers (riches, si possible). La Ligue de foot pro (LFP) a ainsi ouvert un bureau en Chine pour tenter de séduire les entreprises comme les consommateurs chinois. Car l’Empire du Milieu ne devrait pas fermer les vannes de sitôt, selon Michel Desbordes.
"Il y a de fortes chances qu’il y ait encore plus d’investissement. Toute entreprise a envie de briller aux yeux du pouvoir central. C’est une manière de se valoriser à l’intérieur du pays", décrypte l’expert en marketing du sport. Ces dernières semaines, plusieurs médias ont ainsi évoqué l’intérêt d’investisseurs chinois pour les clubs de Nancy et Bordeaux, tous deux en Ligue 1. De quoi faire plaisir non seulement au président Xi Jinping, mais aussi à tout le foot français.