La programmation de matches de Ligue 1 le 5 mai, jour anniversaire de la catastrophe de Furiani, heurte les victimes et leurs familles plus d'un quart de siècle après un drame qui continue de hanter le football français et de meurtrir la Corse.
"Ils ne veulent pas comprendre que c'est inconcevable pour les familles", se désole Josepha Giudicelli, de l'association des victimes de Furiani, alors que cinq rencontres de championnat sont programmées le jour du 27e anniversaire du drame. Son père Jean, technicien de Radio France, est mort sous les tribunes effondrées ce 5 mai 1992, avant la demi-finale de Coupe de France Bastia-Marseille. Elle poursuit le combat entamé par sa mère et lutte toujours contre le refus des autorités du football français de sanctuariser cette date anniversaire de la catastrophe.
Josepha Giudicelli se félicite du "soutien des tribunes de nombreux stades français, à Marseille, Saint-Étienne, Nantes, Strasbourg", où ont fleuri ces deux dernières semaines les banderoles "pas de match le 5 mai". Mais la réponse est toujours négative et "c'est une véritable honte" pour Sébastien Louis. Cet historien, et ancien ultra, spécialiste des supporters de football, est venu participer à la 2e journée d'études sur le supportérisme, organisée samedi à la préfecture de Bastia.
"La mémoire des ultras est forte, et au-delà des rivalités"
Sébastien Louis a présenté une analogie avec la catastrophe du Heysel, à Bruxelles, où 39 "tifosi" de la Juventus Turin ont trouvé la mort le 29 mai 1985 en finale de Coupe des clubs champions contre Liverpool. Là aussi la mémoire du drame a été entretenue par les collectifs de supporters, mais pas du tout par les autorités du football ni les autorités belges, et très peu par la Juventus elle-même. L'historien et sociologue souligne "à quel point la mémoire des ultras est forte, et au-delà des rivalités".
Refuser de ne pas jouer le 5 mai est "aberrant, irrespectueux", lance Michael Tommasi de l'Association nationale des supporters (ANS). Pour Didier Rey, autre historien spécialiste du football, les autorités du foot français "font la sourde oreille pour deux raisons. D'abord, ça colle mal avec le football d'aujourd'hui: vendre du rêve avec des morts au milieu, ça ne le fait pas". Ensuite, "et c'est plus fondamental encore, poursuit l'historien corse, il y a la volonté de ne pas reconnaître que c'est une catastrophe nationale". Selon lui, si "le club de Bastia (est) le premier responsable, derrière à tous les niveaux il y a eu des déficiences. Tous les freins qui auraient dû éviter le drame ont sauté".
"Un drame national"
"Avec 18 morts et près de 2.500 blessés - cela représente 1% de la population de la Corse de l'époque -, aucune catastrophe en Europe n'atteint ces chiffres, c'est donc bien un drame national", souligne l'universitaire. Pour Sébastien Louis, poser une plaque commémorative, "ou dire que ce n'est que les samedi 5 mai qu'on ne joue pas, est un peu ridicule". En 2015, le ministère des Sports avait décidé qu'aucun match de football ne serait joué en France à chaque fois que le 5 mai tomberait un samedi.
La mémoire de Furiani ne pourrait-elle pas être entretenue et honorée en jouant le 5 mai mais en y associant des symboles: une minute de silence, un maillot ou un écusson spéciaux ? "Non, rétorque Josepha Giudicelli. On veut vraiment sacraliser cette date, pas de matches professionnels, car c'est le football professionnel qui a tué", insiste-t-elle. "Ce ne serait que donner bonne conscience à ce football business qui est responsable aussi de la catastrophe", poursuit Didier Rey: "Il faut marquer le coup".
La Corse est encore touchée. "Le temps a passé, bien sûr, mais tous les ans depuis 27 ans les gens sont là aux commémorations", rappelle l'historien corse. "Presque tout le monde connaît une famille qui a été touchée", reprend Josepha Giudicelli. Décaler les matches des 5 mai, la LFP "l'a fait pour le 20e anniversaire de Furiani, on voit que c'est facile de reporter des matches pour des raisons climatiques ou pour les gilets jaunes, ou pour des demandes des diffuseurs".
Les prochaines années le 5 mai tombent en semaine, en 2024 ce sera un dimanche, le combat continue, en Corse et ailleurs. "Nous ne lâcherons pas, conclut Josepha Giudicelli, je suis une acharnée".