Jean-Michel Aulas au micro de Europe 1 49:37
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Colin Abgrall
Président de l’Olympique lyonnais depuis 1987, Jean-Michel Aulas est l’une des personnalités les plus influentes du football français. Il répond aux questions du journaliste et éditorialiste Jacques Vendroux, ainsi que de Cyrille de la Morinerie pendant presque une heure et se confie sa longue et riche histoire à la tête de l’OL. Un entretien passionnant.
EXCLUSIF

Dans cette interview exclusive, Jean-Michel Aulas s’exprime notamment sur sa fierté d’avoir formé Karim Benzema, sur les violences dans les stades dont le championnat est victime depuis le début de saison, ainsi que sur son rôle de pionnier dans le football féminin avant de traiter l’actualité de son club et les résultats décevants de l’OL cette saison.

Le Groupama Stadium : “le plus beau et le plus environnemental”

“C'est une réussite sur beaucoup de points, parce que c'est un stade avec un environnement écologique très puissant. On a fait en sorte de ne jamais l'alimenter avec de l'électricité traditionnelle. On a un projet qui démarre d'ailleurs ce matin de salle multifonctions de sport juste à côté. Nous avons équipé les 7 000 places de parking du stade de panneaux photovoltaïques et nous allons produire l'intégralité des besoins en électricité de tout le secteur. C'est l'équivalent de 2 000 foyers en termes de production. Au niveau de la sécurité, nous avons plus de 350 caméras qui sont là pour figer et intervenir à tout moment. C'est pour ça d'ailleurs que moins de 12 secondes, on avait déjà identifié la personne qui avait lancé cette bouteille. C'est un stade pertinent qu'on vient voir. Tous les gens qui ont des projets de stade aujourd'hui, sur le plan mondial, viennent voir cette réalisation. C'est probablement le plus sécurisé, le plus beau, faut le dire, et puis aussi le plus environnemental. Ce qui, aujourd'hui, est un élément aussi très important.”

Les critiques : "Ça fait très mal” 

“C'est souvent une médiatisation qui n'est pas le reflet de la population. Je travaille non seulement à l'étranger assez souvent, mais en France, dans les plus grandes villes de France où je suis implanté pour mes autres activités, il y a vraiment une adhésion incroyable. Les gens m'arrêtent pour au contraire me dire qu'il faudrait pouvoir apporter ce que j'ai apporté en termes de professionnalisme dans beaucoup d'autres villes. Encore hier, nous avions ici un certain nombre de gens avec lesquels nous discutions, qui sont originaires de Saint-Etienne et du Midi de la France. Il y a un gouffre entre ce qui peut être dit quelquefois avec un peu de méchanceté et toute la méchanceté quand on vit une injustice, quand on est bienveillant à l'égard de tous les gens qui me paraissent eux-mêmes honnêtes et porteurs de projets. Ça fait mal, ça fait très mal. Mais on essaye non seulement de ne pas porter trop d'attention à ce qui est dit quand c'est très déplacé et très injuste. Mais on essaye surtout d'imaginer comment on va faire en sorte de faire passer les messages et puis aussi de regarder sur la durée.”

Le football féminin : “Il faut aider le mouvement”. 

“Loulou (Laurent Nicollin, ancien président de Montpellier) a été vraiment le détonateur. Et je suis allé le voir. On s'entendait vraiment bien et je me souviens avoir admiré son équipe féminine alors que je débutais aussi dans le métier. Et c'est probablement lui qui m'a donné envie de réussir, grâce au foot, à démontrer que la parité féminine, que la valorisation d'un ensemble, d'une institution, pouvait se faire aussi en matière de football par le football féminin. Aujourd'hui, tout ce que représente le football féminin est extraordinaire. Je suis à la FIFA pour aider au développement du foot féminin. Vous savez, un match de foot féminin dure plus longtemps qu'un match de foot masculin. Pour deux raisons. La première, c'est qu’on ne cherche pas du tout à tromper l'arbitre, il n'y a pas de contestation et le temps moyen d'un match féminin est de l'ordre de 14 à 16% de plus que le temps d'un match masculin. Rien que ça. Ça démontre de manière tout à fait pertinente qu'on a intérêt à aider le mouvement.”

Tony Parker : “Aucune décision n’a été prise” 

“Tony (Parker) fait partie des gens avec lesquels j'ai beaucoup collaboré. Il y a lui, mais j'ai connu d'autres très grands sportifs. Vous le savez, j'ai été le partenaire d'Alain Prost à un moment donné en Formule 1. Tony fait partie de ces champions extrêmement doués sur le repositionnement de leur carrière. Donc, on a essayé de réfléchir à ce qu'on pouvait faire. Pour nous, la solution du futur est d'avoir un club qui soit multisportif. C'est pour ça que nous avons pris des positions au niveau de l'ASVEL. On a créé à l'intérieur de l'OL les conditions pour qu'elle devienne une société dans laquelle nous sommes un actionnaire référent avec Tony Parker, mais aussi pour lui permettre d'aller en Euroligue avec la construction d'une salle de 14 000 places voir 16 000 places selon l'utilisation. Donc, Tony est rentré au conseil d'administration. Il fait partie des gens avec lesquels on réfléchit pour le moment sur le basket. Peut-être demain, de manière encore plus élargie. Mais il y a aucune décision qui n’a été prise pour l'instant. On sait qu'un club côté comme Lyon, c'est une valorisation en Bourse de plusieurs centaines de millions d'euros et en général, le représentant le plus éminent, c'est-à-dire celui qui préside, est aussi le représentant des actionnaires les plus importants.”

Abandonner l’OL ? “Je ne partirai pas sans coupe d’Europe” 

“Non. Je suis à la tête de l'Olympique Lyonnais. Je suis l'actionnaire principal avec un autre actionnaire qui est Jérôme Seydoux. Ça fait plus de 20 ans que nous travaillons ensemble. Comme on l'a dit, les performances et les résultats sont tout à fait exceptionnels sur la durée. C'est vrai qu'il y a un petit passage à vide sur le plan sportif cette année. On a fait des choix qui ne se sont pas révélé les meilleurs. L'épisode Juninho nous a fait mal au cœur. Mais il s'est lui-même exclu du dispositif. Toujours est-il que, avec ou sans Juninho, le projet d'aller vers les sommets, de continuer à être l'acteur le plus pertinent sur la durée est toujours là. Je ne partirai pas sans avoir ramené à Lyon une coupe d'Europe, donc on essaye de faire en sorte, même dans la tempête, de trouver les ingrédients pour continuer d'investir sur le moyen terme et d'arriver là où nous devons aller.”

Les incidents de Paris FC-OL : “Je viens de faire une lettre au ministre de l’Intérieur”

“Je suis en train d'écrire mes mémoires et en particulier sur ce qui vient de se passer. Parce qu'il y a un certain nombre de choses que je n'ai pas dites volontairement pour ne pas sacrifier inutilement l'institution, mais qui mérite d'être débattu. Vous savez, si je prends l'exemple du match PFC-OL, c'est la fédération qui choisit les stades qui vont recevoir. Il y a une commission de qualification, de détermination des stades qui accueille les matchs de Coupe de France. Tout le monde sait que Charléty est un stade d'athlétisme et pas un stade de foot. Il n'y a pas de caméras pour voir ce qu'il s'y passe et le stade n'est pas fermé. C'était un match avec l'opposition de Lyon et de Paris, nous n'étions pas organisateurs des déplacements. Nous n'avions pas été prévenus, ce qui était par contre le cas du club organisateur, d'un certain nombre de risques avec des hooligans du Paris Saint-Germain. Et donc, quand la Fédération décide de fixer ce match à Charléty, elle sait qu'il y a un certain nombre de risques. Donc, il faut s'assurer auprès de l'organisateur, mais aussi auprès de la police, que si il y a un risque, tout doit être fait en conséquence. Il s'avère que nous avons des hooligans qui y sont allés et on les a condamnés immédiatement. On les a virés tout de suite pour ceux qu'on a identifiés. On a demandé à la police de nous aider à identifier les autres parce qu'il y en avait plus de quatre. Je viens de faire une lettre, qui sera rendue publique prochainement, au ministre de l'Intérieur pour que l'on nous aide à identifier et sanctionner. Comment l'Angleterre a réussi à sanctionner ses hooligans ? C'est en ayant des actions de justice individuelle qui font que ceux qui n'ont rien à faire dans un stade de foot soient éjectés de tous les stades. Nous avons été exclu, nous n'avons rien dit. Mais la réalité, c'est qu'aujourd'hui, si la France veut s'affranchir des vrais soucis, il faut sanctionner directement les individus.”

Les violences des supporters : “Des décisions qui sont injustes” 

“C'est un drame absolu. C'est pour ça que je pense qu'il ne faut pas se décharger uniquement sur le football. Quand lors d'une réunion publique, un fou furieux vient gifler le président de la République. Toutes les dispositions de sécurité sont normalement prises. Ce n'est pas le ministre de l'Intérieur qui est responsable de la gifle qui est administrée au président de la République. C'est l'ensemble du dispositif juridique, l'ensemble du dispositif judiciaire et pénal. L'Olympique Lyonnais doit comptabiliser un certain nombre de points négatifs, des amendes, des matchs à huis clos. On nous a privés dans un premier temps du match de Marseille, qui représente 4 à 5 millions d'euros de recettes. Puis, avec les jauges du match de Paris et de Saint-Etienne qui arrive, c'est près de 15 à 20 millions d'euros dont on nous sanctionne. Donc, il y a des choses qui font très mal. Il y a eu un jet de bouteille. Malheureusement, le match s'est arrêté. On s'est fait sanctionner alors que l'auteur du trouble a été remis à la police. Il a été jugé en comparution immédiate, moins de trois jours après. Et c'est nous qui prenons la sanction. Il n'était pas supporter de l'Olympique Lyonnais puisqu'il s'est présenté au tribunal avec un maillot du Bayern. Ces combats de hooligans dans les stades dérivent sur des décisions qui sont probablement très injustes.”

les résultats moyens : “Le coach nous donne totalement satisfaction"

“À l'instant T, les résultats sont moyens et on en a parfaitement confiance. On en souffre encore plus quand on regarde l'équipe qui est mise à la disposition des coachs. On a une équipe à tous les postes des internationaux. On a la certitude d'avoir une bonne équipe qui ne joue pas toujours très ensemble, mais avec de fortes individualités. On a un coach qui, aujourd'hui, nous donne totalement satisfaction, par son expérience et son organisation. On voit que c'est costaud. Mais il n'y a pas de résultats à la hauteur. Donc, nous avons dit 'on continue'. Moi, j'ai dit jusqu'à fin février pour voir ce que ça donne. Mais dans mon esprit, on va jouer le 8e de finale de Coupe d'Europe parce que c'est vrai qu'on n'a pas de bons résultats en championnat, mais quand on regarde les résultats en Coupe d'Europe, ils sont excellents. On est, avec le PSG, le plus gros contributeur de points UEFA pour la nation France. Et c'est important parce que si on veut remonter dans le ranking UEFA, c'est indispensable. On est très pragmatique. On s'est donné évidemment un peu de temps. On ne va pas se mettre en danger parce qu'aujourd'hui, on fait les calculs pour se donner de bons espoirs mais on sera pas idiots. Mais aujourd'hui, ça n'est absolument pas l'hypothèse. D'une part, parce que franchement, c'est un bon entraîneur. 2 On a une relation qui a peut être pas été assez constante, mais il y avait un directeur sportif. C'est à lui de gérer parfaitement cette relation. On a repris les choses en main aujourd'hui. Laissez-nous un peu le temps. Donc, on va prendre un certain nombre de dispositions sur le plan de l'organisation en interne.”

Juninho : “On a poussé l’expérience jusqu'au bout”

“Quand Juninho avait tout le pouvoir, on a eu le contact avec un certain nombre d'entraîneurs, Rudi (Garcia) et puis il y avait Laurent Blanc. Ça a été le début de la difficulté avec “Juni”, car lui ne le souhaitait pas. On a poussé l'expérience jusqu'au bout. On a fait les changements à chaque fois. Maintenant, on va effectivement confier à Bruno Cheyrou l'organisation de tout le recrutement. J'entends dire des fois qu'on ne s'était pas donné les moyens. Savez-vous combien nous avons dépensé en deux ans d'investissement sur les joueurs ? 160 millions d'euros. On va faire aussi un certain nombre d'ajustements sur le plan du recrutement, peut-être même dès ce mercato. Bon, j'entends dire qu'effectivement, on a des difficultés, mais chacun a ses difficultés. Nous, on a la capacité à ne pas s'avouer vaincu et à continuer d'investir s'il le faut, de construire s'il le faut.”

L’avenir de l’OL : “Je n’ai pas l’impression d’être un vieux schnock”

“J'ai essayé de préparer l'avenir. Vous l'avez rappelé, j'ai 72 ans. Je n'ai pas l'impression d'être un vieux schnock du tout. Je prends plein d'initiatives, la mécanique fonctionne, le dynamisme est toujours là et je l'ai dit, je ne voudrais pas laisser l'Olympique Lyonnais dans le même dans lequel je l'ai trouvé. Mais il n'empêche que si je veux un jour partir, il faut structurer. Et on a plein de gens de grandes qualités qui, aujourd'hui, assument l'essentiel de la prise de décision au jour le jour. Il y a une mauvaise passe. Moi, je suis convaincu qu'on peut redresser. Je vais y mettre toute mon énergie. Mais déléguer ne veut pas dire ne pas être au courant. Je suis très au courant de tout ce qui se passe et quand il y a quelque chose à rectifier, on essaye de le faire.”

Lucas Paqueta : “À 80 millions d’euros, on réfléchit toujours” 

“C'est vrai que Lucas, c'est l'un des très grands joueurs que l'on est allé chercher. J'ai pris la décision de le faire venir, et moi seul, parce qu'il fallait mettre 21 millions du jour au lendemain, en pleine période de coronavirus. Aujourd'hui, il y a un club qui a été sollicité, mais par journal interposé. C'est vrai que c'est venu bizarrement. J'ai dit à Leonardo que j'allais l'appeler. Mais non, il ne partira pas à Paris. Il y a eu un autre club, par contre, qui nous a fait une demande. C'est un club qui a beaucoup d'argent mais c'est pour le moment confidentiel. Il va rester avec nous. Lui-même souhaite absolument faire du moyen long terme. Bon, maintenant, comme je le dis toujours, à 80 millions d'euros on réfléchit toujours, même pour d'autres joueurs. Je suis honnête.”

Laurent Blanc : “Sait on jamais”

“Oui, j'y pense. C'est vrai que, à l'époque, j'ai été solidaire avec Juninho. Mais c'est un garçon qui a une expérience incomparable. Et moi, je l'avais vu longuement en Russie pour la Coupe du Monde (en 2018) et j'avais bien senti qu'il y avait cette capacité. Les choses ne se sont pas faites pour les raisons que je vous ai expliquées. Sait on jamais ?”

Karim Benzema : “C’est un rêve de le faire revenir” 

“C'est vrai que nous sommes associés à sa réussite extraordinaire par le cœur, par la filiation. Et on se dit qu’à chaque fois qu'il marque un but de plus et qu'il est aussi performant, il s'éloigne du jour où il va revenir à Lyon. Parce que bon, je ne vois pas le président de Madrid lâcher Karim. Mais dès qu'on aura la possibilité de pouvoir le faire revenir, je ne sais pas comment, comme joueur, comme éducateur... Mais en tout cas, c'est vrai que c'est un rêve.”