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Corinne Boulloud et Christophe Thoreau, édité par Romain David
ENQUÊTE - Deux joueurs français interpellés lundi sont soupçonnés d'être impliqués dans une affaire de matches truqués, un phénomène devenu récurrent dans le tennis.
ENQUÊTE

Deux joueurs de tennis français viennent d’être interpellés dans le cadre d’une vaste enquête internationale sur des matches truqués. Et ce n’est qu’un début, selon les enquêteurs français. En cause : la folie des paris sportifs en ligne qui conduisent à falsifier le déroulé des matches.

Des proies faciles

Ces joueurs ont tous le même profil. Ils évoluent entre le 250ème et le 500ème rang mondial, dans des tournois professionnels de deuxième et troisième division, et ils ont du mal à boucler leur fin de mois, à payer leur entraîneur ou financer leurs déplacements. Pour 1.500 à 2.000 euros, ce sont des proies faciles pour les réseaux mafieux qui récoltent des millions grâce à ces paris.

Le témoignage d’Hugo Nys, 27 ans, passé par ces tournois, est édifiant sur le fonctionnement des corrupteurs par messagerie cryptée, mais pas seulement. "Il y a aussi les réseaux sociaux", explique-t-il. "On m'a proposé 1.500 à 2.000 euros pour perdre une finale. C'est arrivé deux, trois fois", confie le joueur à Europe 1. "J'ai prévenu le juge-arbitre, mais ça arrive dans le monde entier toutes les semaines", assure encore le tennisman. "Comment ça se fait qu'un mec puisse parier en Ouzbékistan sur un premier match de qualif en Turquie ? Il n'y a aucun contrôle sur l'accès à ces tournois, c'est un grand flou", déplore-t-il.

"Le risque s'est considérablement accru avec la dématérialisation des paris. Vous pouvez parier partout dans le monde sur des compétitions très éloignées des lieux des paris. Cela génère des risques spécifiques", abonde Jean-François Vilotte, le directeur général de la Fédération française de tennis. Pourquoi le tennis particulièrement ? Parce qu'il est tout simplement plus facile de corrompre un joueur isolé, plutôt que toute une équipe. Mais cela tient aussi au jeu en lui-même, il est difficile de voir si un joueur fait exprès de perdre ou non. "Pourvoir affirmer qu'il y a eu un fait de corruption, et qu'un match a été lâché, est plus difficile que l'affirmation de la preuve en matière de dopage", pointe encore Jean-François Vilotte.

>> De 7h à 9h, c’est deux heures d’info avec Nikos Aliagas sur Europe 1. Retrouvez le replay ici

Un "tsunami" de matchs truqués

Une étude commandée par les instances du tennis mondial parle même d'un "tsunami" de matchs truqués dans les tournois secondaires. Mais l’élite du tennis n’est pas épargnée non plus par ce phénomène des paris en ligne, car il est très prisé en Asie, comme l’explique Benoît Paire, numéro 8 français, éliminé de l’Open d’Australie mardi. "On ne m'a jamais approché, mais des menaces j'en reçois tous les jours. Quand je perds mon match contre Dominic [Thiem, ndrl], j'ai la moitié des gens qui me félicitent pour mon match et la moitié qui me disent qu'ils ont perdu un pari... et qu'ils veulent me tuer", raconte-t-il. "Je suis désolé s'ils ont perdu dix euros, mais ça n'est pas mon problème", balaye le tennisman. Estimant "inadmissible" le comportement des deux joueurs interpellés, Benoît Paire espère qu'ils seront "lourdement sanctionnés".

En France, la Fédération française mène des actions de sensibilisation et de prévention, mais cette nouvelle affaire illustre bien l’ampleur de la tâche. Jean-François Vilotte appelle surtout à la mise en place d’une réponse internationale, plus à même selon lui de lutter contre des réseaux transfrontaliers de corrupteurs.