Cela fait plus de quatre ans que le Chakhtior Donetsk est un club exilé dans son propre pays. À cause de la guerre entre pro et anti-russes, le club a dû quitter la ville de Donetsk et sa région. "Nous sommes devenus, du jour au lendemain, un club sans domicile fixe", sourit Dimitri, supporter du Chakhtior. "Aujourd’hui on joue surtout à Kharkiv, dans le nord du pays ou bien à Lviv, tout à l’ouest à deux pas de la Pologne. On doit être le seul club d’Europe qui n’a plus le droit de jouer dans sa propre ville", poursuit le jeune homme originaire d’un tout petit village à la frontière entre deux Ukraine, l’une anti-russe - celle de Kiev - et l’autre pro-russe – celle de Donetsk.
"Quand va-t-il changer de nom ?" Le club du Chakhtior était le plus riche du pays avant le conflit. Et si aujourd’hui il a toujours des moyens financiers importants, il a dû revoir sérieusement sa politique de transferts et toute son économie. "Le propriétaire du club, un homme d’affaires richissime, a perdu une partie de ses entreprises, de ses usines et de ses mines à cause de la guerre, raconte Evgheni Starov, journaliste sportif à Kiev. Le club achète moins de joueurs, fait davantage confiance à des jeunes ukrainiens. Et surtout, la question se pose de plus en plus : quand va-t-il changer de nom ? Parce que tout le monde se doute que l’équipe ne reviendra jamais à Donetsk..."
"Un club qui raconte le déchirement d’un pays". Pour Irina, supportrice du club, si l’histoire du Chakhtior mérite d’être racontée, au-delà du football, c’est surtout parce que le destin de cette équipe illustre aussi ce qu’ont dû vivre de nombreux ukrainiens : "Avec la guerre qui a éclaté, beaucoup de personnes ont dû quitter l’est du pays. J’ai par exemple un ami qui a dû venir ici, à Kiev, avec toute sa famille. Ils ont tout laissé : leurs biens, leur travail, leur vie. Certains n’ont pas pu être hébergés par des amis ou dans des refuges et se sont retrouvé sans rien, à la rue. C’est une tragédie. On peut être pro ou anti-russe, ce n’est pas l’essentiel. Au bout du compte, des gens meurent à cause de la guerre. Le Chakhtior est un club riche qui n’a pas eu de problèmes graves mais il est symbolique de la situation."
" A travers ce match, grâce à l’accueil de Kiev, nous montrons aussi que l’Ukraine peut se retrouver, unie, en paix et solidaire "
C’est donc dans ce contexte que le Chakhtior Donetsk va jouer mercredi soir un match décisif de coupe d’Europe. Le club peut se qualifier pour les huitièmes de finale de la Ligue des Champions à la faveur d’un bon résultat contre Lyon. Mais, bien au-delà du football, on a senti pendant la conférence de presse d’avant match que quelque chose d’autre se jouait.
"C’est dur de devoir jouer si loin de chez nous." L’entraîneur du club, Paulo Fonseca, a ainsi pris la parole, non pas pour parler tactique, choix de joueurs ou chances de victoires mais pour parler de l’Ukraine et du véritable enjeu de ce match : "Nous remercions du fond du cœur le club du Dynamo Kiev, notre rival, qui a accepté de nous accueillir dans son stade pour ce match. Nous savons que c’est difficile à accepter pour certains supporters. Pour nous aussi, c’est dur de devoir jouer si loin de chez nous (à 700 km, ndlr). Mais à travers ce match, nous montrons que le football peut porter la paix. A travers ce match, grâce à l’accueil de Kiev, nous montrons aussi que l’Ukraine peut se retrouver, unie, en paix et solidaire. Nous devons être un exemple de paix pour le monde et pour nous-mêmes."
Alors que le conflit dure, le pays tente ainsi d’écrire une autre histoire. Jadis grand club de l’est du pays, le Chakhtior Donetsk est devenu le club de tout un pays victime de la guerre. En trouvant refuge dans d’autres stades, dans d’autres villes, à l’ouest, au nord ou au centre du pays, le Chakhtior a contribué à dessiner la carte d’une nouvelle Ukraine et a posé les premières pierres d’une nouvelle unité.