Pékin, août 2008. Voilà plusieurs minutes qu'Usain Bolt, 22 ans, a remporté le premier titre olympique de sa carrière sur 100 m avec une facilité déconcertante, se permettant même de ralentir avant de franchir la ligne d'arrivée. Le Trinidadien Richard Thompson et l'Américain Walter Dix, respectivement deuxième et troisième de la course, ont attrapé un drapeau de leur pays pour faire un tour de stade, avant d'aller répondre aux journalistes. Mais sur la piste, le Jamaïcain fanfaronne toujours. Ses chaussures à la main, il esquisse quelques pas de danse, un large sourire aux lèvres. Dans les gradins, le public tombe sous le charme.
"Quelque chose de plus". Depuis, le champion a brillé à Londres, puis à Rio (huit titres olympiques en tout), mais aussi aux championnats du monde (onze sacres), établissant de nouveaux records sur 100 m, 200 m, et en relais. Un seul titre lui a échappé en 2011 aux mondiaux de Daegu, en Corée du Sud, lorsqu'il a été disqualifié pour faux départ. Ce palmarès quasi-parfait pourrait se conclure en apothéose à Londres, où la star disputera ses dernières courses avant la retraite, du 4 au 13 août. Il restera en tout cas indissociable d'une capacité à créer, à chacune de ses apparitions, un véritable spectacle. Du jamais vu dans l'histoire de l'athlétisme.
"Bolt a quelque chose de plus", décrypte Jean-Claude Perrin, ancien entraîneur de saut à la perche et consultant athlétisme pour Europe 1. "C'est ce charisme, cette générosité du cœur, ce rayonnement individuel." Une décontraction et un sens inné du show qui rompent avec la tradition de roulements des mécaniques mêlée d'extrême concentration des sprinters au visage fermé, à l'image des rivaux Justin Gatlin, Maurice Greene et Asafa Powell, qui survolaient la discipline avant 2008.
Copié par Obama. La "cool attitude" de Bolt, c'est notamment ce geste de "l'éclair", un bras tendu vers le ciel, devenu sa signature et reproduit à travers le monde, même par l'ex-président des Etats-Unis Barack Obama, lors d'une visite officielle en Jamaïque en 2015. Pour le recordman du monde, la course a toujours semblé être un jeu et on devine combien son inséparable mentor Glenn Mills a dû s'escrimer pour obliger cet amoureux de la fête et de la nuit, DJ à ses heures perdues, à se montrer assidu aux entraînements.
Bolt a ainsi cassé tous les codes en vigueur dans le milieu feutré de l'athlétisme, comme avec cette samba improvisée en fin de conférence de presse avec des danseuses brésiliennes avant le début des épreuves des JO de Rio ou encore ce lancer de javelot improbable, en pleine nuit dans un stade olympique vide, quelques heures après sa 3ème médaille d'or brésilienne.
Il est 1h40 du matin. Je travaille au stade olympique. Les lumières sont éteintes. J'entends du bruit #UsainBoltpic.twitter.com/S9gVaHmQk9
— Franck Ballanger (@FranckBALLANGER) 20 août 2016
Casser les codes. Le règne du champion aura aussi été celui d'une extrême accessibilité qui tranche, là encore, avec les coutumes de la discipline. "Il y a une image qui me reste, à Berlin, lors des mondiaux de 2009", se souvient Jean-Claude Perrin. "On était avec Pierre Quinon (champion olympique de saut à la perche en 1984, ndlr). Après sa course, Bolt enjambe la barrière, répond à une radio locale. L'Australien Hooker (champion olympique de saut à la perche en 2008, ndlr), l'appelle. Il monte quelques marches et on lui dit : 'devant toi, tu as deux champions de saut à la perche'. Et vous savez ce qu'il répond ? 'Oh, c'est formidable, on va faire une photo tous les trois'."
Avoir traversé une carrière sans soupçon dans un sport qui se débat avec le spectre du dopage a également "renforcé son aura", selon l'économiste du sport Vincent Chaudel pour qui Bolt "fait partie de ces sportifs aux gestes techniques purs, comme Roger Federer, que l'on n'imagine même pas être impactés par ce genre de sujet." Le modèle est-il seulement égalable ? L'impressionnant Sud-Africain Wayde Van Niekerk, annoncé comme le potentiel successeur du Jamaïcain, semble le mieux placé pour écoper de ce lourd héritage. "J'espère, en tout cas, qu'il aura le même coeur", que Bolt, répond Jean-Claude Perrin. "Au-delà de la performance, c'est comme cela qu'on donne envie aux jeunes de faire du sport."