Figure emblématique du football français et ancien recordman de sélection en équipe de France, Marius Trésor, 72 ans, a accordé une interview exclusive à Europe 1. Quelques semaines après la fin de saison en Ligue 1, le défenseur aux 65 sélections revient sur sa carrière, sur la relégation des Girondins de Bordeaux avec qui il a joué 116 rencontres, sur les problèmes du club avant de donner son regard sur l’équipe de France, Raphaël Varane et le calendrier international des Bleus.
Sa vie de footballeur, les plus grands moments de sa vie ? "Je ne peux pas les oublier"
"Je ne dirai pas le contraire parce que c'est un sport que j'ai toujours adoré, qui m'a permis d'être ce que je suis aujourd'hui. Je dois pratiquement tout au football et surtout à l'AC Ajaccio (joueur de 1969-1972) qui m'a fait venir en Corse, sans jamais m'avoir vu jouer, au travers de quelques coupures de journaux. En plus, il m'avait pris pour jouer avant-centre et finalement j'ai fait une carrière de défenseur. Ces moments-là, je ne peux pas les oublier."
Son passage à l'Olympique de Marseille (de 1972 à 1980) : "À Marseille, j'étais bien"
"On avait une équipe extraordinaire. On avait trois attaquants extraordinaires. Moi, je suis arrivé à l'Olympique de Marseille en même temps que Salif Keita (attaquant malien, à l'OM de 1972 à 1973) et on avait deux monstres, Josip Skoblar (attaquant croate, à l'OM de 1969 à 1974) qui pour moi est le meilleur attaquant que la France ait connu, et aussi Roger Magnusson (attaquant suèdois, à l'OM de 1968 à 1974).
Malheureusement pour nous, ces trois garçons n'ont jamais pu jouer ensemble parce que contrairement à maintenant, il y avait cette loi ou on ne pouvait pas avoir plus de deux étrangers sur la feuille de match. Donc on est passé à côté de bons résultats parce que notre ligne d'attaque n'a jamais pu jouer ensemble.
Je suis resté huit ans à Marseille alors que j'aurais pu partir autre part. Mais à Marseille, j'étais bien. Mon fils aîné est né là-bas et jusqu'à présent, c'est un fou de l'Olympique de Marseille alors que ça fait 42 ans que je suis à Bordeaux. Il n'a jamais vraiment adhéré aux Girondins. Donc c'est vrai qu'à Marseille, huit saisons, c'est extraordinaire. Mais malheureusement, ça s'est terminé en queue de poisson (Marseille descend en Ligue 2 en 1980)"
Son passage aux Girondins de Bordeaux (de 1980 à 1984) : "Ca va faire 42 ans que je suis à Bordeaux"
"Les moments que j'ai passé aux Girondins de Bordeaux sont extraordinaires. J'étais venu pour un an et ça va faire 42 ans que je suis à Bordeaux. Je me sens bien, cette ville est magnifique, la région, on n'est pas très loin de la neige, on n'est pas très loin de l'océan, donc c'est l'idéal. La majorité des joueurs qui y ont joué à Bordeaux, même s'ils ne sont pas bordelais, il y en a beaucoup qui reviennent à la fin de leur carrière pour vivre dans cette région, c'est vraiment magnifique.
Alain Giresse est sur Balma (banlieue de Toulouse), mais à chaque fois qu'il monte à Bordeaux, on s'appelle, on se voit, de même que Bernard Lacombe qui est à Lyon, on est très souvent au téléphone. J'ai fait la connaissance de garçons extraordinaires que j'avais déjà rencontré en équipe de France. Le fait d'avoir joué avec eux à Bordeaux a été magnifique."
Sur son record de sélection de l'époque (il cumulait 65 sélection en équipe de France) : "Maintenant, il y a beaucoup de matchs"
"Il n'a pas duré très longtemps parce qu'après, l'équipe de France a commencé à avoir beaucoup de résultats. Donc automatiquement, il y avait beaucoup plus de matchs. Et c'est ça qui a permis que le record ne dure pas. Maxime Bossis (76 sélections) a été le premier et quand on voit que maintenant, Lilian Thuram, qui détient ce record avec 142 sélections, va être sûrement battu par Hugo Lloris (actuellement à 138 sélections) qui n'est pas très très loin. Il faut aussi savoir qu'à mon époque, il y avait à peine à peine six matches de compétition par an, alors que maintenant il y en a énormément. En plus, à cette époque là, l'équipe de France n'avait pas beaucoup de résultats alors que maintenant il y a beaucoup de matchs."
Sur la relégation de Bordeaux en Ligue 2 : "Il faut un appui financier"
"Malheureusement, il va falloir s'accrocher et faire en sorte que l'équipe ne reste pas longtemps en Ligue 2. Moi, j'ai connu ça avec Bordeaux en 91-92 où nous sommes descendus mais les joueurs étaient restés et voulaient à tout prix que le club remonte. Avec cette équipe qu'on a eue cette saison, je me demande si en gardant les mêmes joueurs on va pouvoir rester en Ligue 2 ? Ça, ce n'est pas possible, à moins de ne compter que sur les jeunes et de faire le vide. Il faut un appui financier. Et pour l'instant, le club est à la recherche de ça."
Sur les jeunes des Girondins de Bordeaux : "Il faut des battants, pas des mercenaires"
"Il y a de bons jeunes. On voit les quelques garçons qui ont joué avec l'équipe A. C'est sûr que les gens ont du mal à comprendre. Il faut savoir que quand on lance des jeunes, il faut qu'à côté, il y ait des cadres qui les dirigent. Malheureusement, ça n'a pas été le cas pour les Girondins de Bordeaux cette saison. La majorité des garçons qui auraient dû entraîner cette équipe vers le haut, au contraire, c'est eux qui les ont descendus. À partir de là, il va falloir repartir avec ces jeunes, leur faire confiance et essayer de monter une équipe capable de rivaliser avec Saint-Etienne parce qu'ils sont dans le même cas que nous, et avec les équipes qui ont envie de retrouver la Ligue 1.
Il faut des battants, pas des mercenaires. Il faut des garçons qui aiment le foot et qui ont envie de faire remonter ce club au haut niveau. Quand on voit tous les matches qu'on a perdu cette saison à domicile (neuf), c'est la première fois que ça arrive aux Girondins de Bordeaux. Quand tu mènes 2-0 contre Saint-Etienne, que tu es à la lutte pour ne pas descendre et que tu perds le match, quand tu vas à Nantes, que tu mènes 2-0 et qu'à l'arrivée tu perds 5-3, quand dans une saison, tu ne fais que deux clean sheet (matchs sans encaisser de buts), c'est normal que tu te retrouves en fin de classement. Tu te demandes si il y avait une défense."
Sur la répétition des matchs : "À un certain moment, ça lâche"
"Je m'aperçois d'une chose, c'est qu'en France, on a soit disant enlevé la Coupe de la Ligue parce que ça faisait trop de matchs. Mais c'était pour rajouter des matchs internationaux. Les joueurs, ce sont d'abord des hommes, ce ne sont pas des machines. Quand on voit Mbappé qui est blessé, quand on voit Varane qui est blessé, c'est des garçons sur lesquels l'équipe de France compte. Mais à force de faire des matches, à un certain moment ça lâche. C'est dommage qu'on continue encore à ajouter des matchs. Il va y avoir quatre matchs en fin de saison, comment voulez-vous que les joueurs n'aient pas des blessures? Je ne comprends pas."
Son regard sur Raphaël Varane : "Ce garçon est indispensable à l’équipe de France"
"Quand on voit ce qu'il a fait avec l'une des meilleures équipes du monde, c'est-à-dire le Real Madrid, il formait l'axe central avec Sergio Ramos. Il était presque impassable ce garçon. Il a été extraordinaire. Malheureusement, après son transfert à Manchester, il a commencé à avoir des problèmes de santé, de blessure. Quand on voit le match contre le Danemark (1-2) où on mène 1-0, il sort et on perd le match. On peut dire que ce garçon est indispensable à l'équipe de France."
Sur Benzema : "Ce qu’il a fait, c’est phénoménal"
"S'il n'est pas Ballon d'Or cette année, c'est qu'il n'y a pas de justice. Quand on voit ce qu'a fait ce garçon tout au long de la de la saison, c'est phénoménal. Déjà l'année dernière, je n'ai rien contre Messi, c'est un garçon que j'adore, mais je l'aurais donné à Lewandowski."
Sur Mbappé : "Il est imprenable"
"C'est phénoménal ce que peut faire ce garçon à lui seul. Il peut faire pencher le résultat d'un match à n'importe quel moment. C'est le meilleur attaquant de Ligue 1, le meilleur passeur, il a tout, il peut faire marquer, il marque et il est imprenable."