Ils sont tous deux des icônes dans leur pays, et pourtant tout ou presque les sépare aujourd’hui. Joachim Löw et Didier Deschamps, les sélectionneurs de l’Allemagne et des Bleus, se retrouvent le mardi 15 juin lors du premier match de la phase de groupes de l’Euro 2020, à Munich, dans des dynamiques radicalement opposées. L’entraîneur allemand, sacré champion du monde en 2014 au Brésil, dispute sa dernière compétition cet été, après un long et fructueux mandat débuté en 2006. Mais ces derniers mois, Löw a dû affronter la vindicte populaire et médiatique, conséquence de l’élimination catastrophique au premier tour du Mondial 2018 et de choix critiqués.
Didier Deschamps, à l’inverse, arrive en position de force. Champion du monde en titre, "DD" est sorti renforcé par sa décision de rappeler Karim Benzema avant l’Euro, une compétition que les Bleus abordent en position de favoris. Mais les deux hommes ont des destins bien plus liés qu’il n’y paraît. Europe 1 retrace leur parcours.
L’apprentissage par les défaites
Avant de s’asseoir sur le toit du monde, Joachim Löw et Didier Deschamps ont tous deux connu l’amertume de la défaite. Ancien adjoint de Jürgen Klinsmann pendant deux ans, "Jögi" (son surnom) est nommé sélectionneur dans la foulée de la belle et inattendue troisième place à la Coupe du monde 2006, organisée en Allemagne, avec l’objectif de remettre la Mannschaft au premier plan. Rapidement, le longiligne entraîneur obtient des résultats probants avec, en prime, un jeu séduisant. Mais à chaque fois son Allemagne échoue dans la dernière ligne droite, malgré un collectif parfaitement huilé. A l’Euro 2008, l’Espagne brise les rêves allemands en finale (1-0) avant de s’incliner sur le même score, toujours contre la Roja, en demi-finales de la Coupe du monde 2010. La déception est encore plus forte à l’Euro 2012, avec une défaite dans le dernier carré contre l’Italie après un doublé de Mario Balotelli (2-1).
Cet apprentissage du haut niveau international, Didier Deschamps l’a aussi expérimenté avec les Bleus. Après une qualification homérique pour la Coupe du monde 2014, en barrages contre l’Ukraine (0-2, 3-0), l’équipe de France de Benzema et d’un tout jeune Griezmann s’arrête en quarts de finale, battus par… l’Allemagne (1-0). Deux ans plus tard, la déception est encore plus cruelle, à domicile. Les Bleus s’inclinent contre le Portugal en finale de l’Euro 2016 (1-0), sur un but d’Eder dans la prolongation, dans un Stade de France médusé. Mais l’adage est bien connu : c’est dans les défaites qu’on forge les succès du lendemain.
La consécration de la Coupe du monde
Quand l’Allemagne arrive à la Coupe du monde 2014, tous les observateurs la classent parmi les favoris de l’épreuve, au même titre que le pays-hôte, le Brésil. Joachim Löw et ses hommes ne décevront pas, avec des performances mémorables (notamment le 4-0 contre le Portugal de Cristiano Ronaldo dès le premier match) et un jeu par séquences exceptionnel. Les Allemands frappent encore plus fort en demi-finales avec l’incroyable humiliation infligée au Brésil, chez lui (7-1), après une démonstration de force collective ahurissante. La finale contre l’Argentine de Lionel Messi sera bien plus disputée, ne se décantant que sur un but en prolongation du petit Mario Götze (113e, 1-0). Après des années à échouer tout près des étoiles, les Allemands décrochent le graal avec cette quatrième Coupe du monde de leur histoire, récompensant cette formidable machine construite pendant des années par Löw et son staff.
Si le succès allemand est aussi le succès d’une philosophie et d’un projet de jeu basé sur la possession, celui des Bleus de Didier Deschamps est avant tout l’aventure collective d’un groupe au talent fou. Après un premier tour poussif, Kylian Mbappé, Benjamin Pavard et leurs coéquipiers remportent un huitième de finale d’anthologie contre l’Argentine de Lionel Messi (4-3). L’Uruguay (2-0) et la Belgique (1-0) seront elles battues au terme de deux rencontres maîtrisées, avant un succès en finale face à des Croates pourtant dominateurs une bonne partie du match (4-2). Des buts, du pragmatisme, des individualités extraordinaires (Mbappé, Griezmann, Kanté, Pogba…), une capacité à résister dans les moments difficiles : ces Bleus ressemblent finalement si bien à leur entraîneur.
Un héritage à faire fructifier
Depuis trois ans, les trajectoires des deux sélectionneurs se sont cependant inversées. Didier Deschamps, plus que jamais l’homme fort des Bleus, a continué à s’appuyer sur l’ossature des champions du monde (Lloris, Varane, Kanté, Pogba, Griezmann, Mbappé…), tout en injectant du sang neuf. Sa décision de rappeler Karim Benzema a marqué un revirement aussi spectaculaire qu’inattendu, à quelques encablures de l’Euro, redistribuant les cartes de l’attaque française. DD peut en tout cas s’appuyer sur un effectif impressionnant et d’une rare richesse à tous les postes, qui en font le favori de l’Euro 2020. L’équipe de France n’aura cependant pas le droit à l’erreur au premier tour, dans le groupe de la mort, avec un premier match contre l’Allemagne (puis Hongrie et Portugal).
Les Allemands, eux, se présentent sans certitudes sur leur niveau. Depuis l’élimination au premier tour de la Coupe du monde 2018, Joachim Löw subit une déferlante de critiques. Mais "Jögi" s’est libéré d’un poids en annonçant son départ après l’Euro, au terme duquel il sera remplacé par Hansi Flick, l’ancien coach du Bayern Munich, qui sera chargé de faire fructifier son héritage. D’ici là, le sélectionneur allemand aura une chance de terminer de la plus belle des manières son long mandat, l’un des plus fructueux de l’histoire de la Mannschaft. Quoi de mieux qu’un succès contre les Bleus, le 15 juin, pour débuter cette tournée d’adieux.