Vendre ses données personnelles pour de l’argent de poche : c’est le concept de "tadata-france.fr", un site, lancé il y a quelques jours, sous forme de bon plan qui s’adresse aux étudiants de 15 à 25 ans. Le principe : vous fournissez les informations de votre choix au site qui les revend ensuite à des entreprises qui les utiliseront pour vous adresser leurs pubs. En échange, vous recevez une petite somme, quelques euros pour chaque "pack" de données fourni. "On voudrait enfin un système équitable autour de la donnée", explique à Europe 1 l'un des deux fondateurs de Tadata, Alexandre Vanadia.
Redonner le pouvoir aux internautes
Le slogan de Tadata est tranchant : "Internet vous vole ? Résistez !". Les fondateurs du site, mis en ligne début février, veulent redonner le contrôle de leurs données aux internautes. "Aujourd’hui, quand vous surfez sur Internet, que vous vous inscrivez sur un site quelconque ou que vous utilisez les réseaux sociaux, toutes ces données sont exploitées par les géants d’Internet", souligne Alexandre Vanadia. "Derrière, ces données font l’objet d’un vaste marché, qu'on estime équivalent à 8% du PIB européen. Et une seule personne est en dehors de cette économie, c’est l’utilisateur."
Conscient qu'ils ne peuvent pas "changer le monde", les fondateurs de Tadata ont donc décidé d'agir à leur échelle. Ils collectent les données auprès de leurs utilisateurs puis les revendent en lot à leurs clients, des entreprises privées qui cherchent à mieux cibler leurs publicités. Le tout, en toute transparence puisque l'utilisateur sait quelle entreprise a acquis ses données.
Un "coup de pouce" pour les jeunes
Alors, pourquoi restreindre l'accès aux 15-25 ans ? C'est dans ce secteur que les fondateurs ont fait leurs armes, en travaillant pour de grandes écoles françaises. "Les jeunes sont une population vulnérable. En France, une personne sur deux qui vit sous le seuil de pauvreté a moins de 29 ans. Tadata, c'est un coup de pouce pour eux", explique Alexandre Vanadia.
En une semaine, Tadata a déjà séduit 1.500 jeunes. L'inscription se fait en quelques minutes. Il faut, pour cela, renseigner quelques informations sur son cursus scolaire : niveau d'études, orientation future, métiers souhaités… Ces renseignements sont ensuite revendus à des établissements d'enseignement supérieur ou des entreprises agréées dans le secteur de l'éducation. Mais, à terme, Tadata pourra collecter, par le biais de formulaires proposés aux membres, leurs préférences de loisirs, de voyages, de consommation, etc.
Vendre ses données, une notion très floue
S'il part d'une bonne intention, le principe inquiète. L’Internet Society France, une ONG qui milite pour la protection des internautes, a ainsi saisi la CNIL mardi. "La vente des données, par nature, n’est pas autorisée par le Règlement général sur la protection des données (RGPD), en vigueur depuis 2018", assure Nicolas Chagny, son président. "Au cœur de ce règlement, il y a la notion de consentement mais aussi, et surtout, de révocation de ce consentement. Une donnée, vous pouvez permettre à quelqu’un de l’exploiter pendant un certain temps mais elle vous appartient toujours. Donc la notion même de vente pose un problème juridique."
Le site nourrit notre inquiétude à plusieurs titres : 1- son discours simpliste et peu détaillé de gain rapide d’argent, lié à la vente de données personnelles. Membre de @EDUCNUM, nous ne pouvons que regretter l’approche simpliste et opaque du gain d’argent facile et rapide.
— Internet Society FR (@isoc_france) February 11, 2020
L'ONG s'inquiète également du flou des conditions générales de Tadata. "La description des données susceptibles d'être cédées est très légère à nos yeux. La loi est claire en la matière : quand on s'approprie les données des internautes, il faut impérativement que les conditions de cette appropriation soient clairement explicitées", souligne Nicolas Chagny. "Ce n'est pas clair du tout sur le site au moment de l'inscription et c'est encore pire si on passe par l'application : il n'y aucune case à cocher ni de rappel des mentions légales. Pour une application qui se dit respectueuse des données, c'est choquant."
Des internautes suspicieux
Contactée par Europe 1, la CNIL confirme que la plainte adressée par l’Internet Society France est en cours d’examen. Sur Twitter, l'organisme a également été interpellé par des internautes qui doutent de l'honnêteté de Tadata. En cause notamment, une campagne de recrutement très agressive, via un envoi de SMS non-ciblés et donc non-désirés par les destinataires. Certains reprochent également à Tadata de séduire une population vulnérable, les jeunes en manque d'argent et donc plus susceptibles de céder leurs données sans être trop regardants.
Reprendre le contrôle des données personnelles en les revendant à des tiers ? Vous avez une étrange vision du contrôle de ces données.
— Valentin Grenier (@valentingrn) February 11, 2020
Ensuite, et là on est un peu au paradis du nawak : certaines personnes ont reçu des SMS promotionnels pour ce service... sans avoir donné leur numéro. Donc collecte indirecte sans l'obligation d'information (spoiler : ce n'est pas légal)
— J (@Numendil) February 9, 2020
Les responsables de Tadata, eux, démentent toute intention malicieuse et assurent respecter la réglementation en vigueur. "On a pensé Tadata pour être en accord total avec le RGPD. Nous avons consulté d'anciens membres de la CNIL, des spécialistes des données personnelles pour savoir si notre concept était légal. Ils nous répondu : 'oui'. Mieux, ils nous ont dit que c'était le sens de l'histoire", vante Alexandre Vanadia. Avec son associé Laurent Pomies, ils espèrent "briser le tabou autour des données" malgré les réticences exprimées par leurs détracteurs.
Et Tadata de relancer ainsi le débat sur la patrimonialisation des données personnelles. D'un côté, les tenants, comme ce site, d'une appropriation des données personnelles par les internautes, pensent qu'il est tout à fait possible de les revendre puisqu'elles nous appartiennent. De l'autre, les opposants à ce principe, comme l'Internet Society, estiment que les données personnelles relèvent d'un droit fondamental et qu'elles ne peuvent donc pas faire l'objet d'une cession à des fins commerciales.