Un endroit paisible, comme perdu, au bord de la baie de San Francisco. Bienvenue à Menlo Park, Californie, siège de Facebook. En plein cœur de la Silicon Valley, le campus du réseau social le plus utilisé du monde a quelque chose de déroutant avec son ensemble de bâtiments modernes pas toujours des plus esthétiques et ses gigantesques parkings. Sur le site historique - bâtiments MPK10 à MPK18 -, là où Mark Zuckerberg avait son bureau jusqu’à la construction d’une nouvelle aile plus moderne, rien ou presque n’a changé depuis les débuts.
En déambulant à l’heure du déjeuner dans ce qui ressemble fort à un parc d’attraction fait de restaurants gratuits, d’une salle de jeu d’arcade, d’un réparateur de vélo, d’une ébénisterie et même d’une boutique de souvenirs, on pourrait se croire dans un monde merveilleux. Mais un monde totalement fermé, tant l’accès au site est contrôlé, à la différence de celui de Google, bien plus ouvert. C’est ici que Facebook, qui fête ses 15 ans lundi, tente de répondre aux nombreuses questions que pose son influence (trop ?) importante sur la société. Retour sur une histoire hors du commun.
La plus grande "communauté" du monde
Avec ses 2,3 milliards d’utilisateurs mensuels - dont plus de 1,5 milliard se connectent au moins une fois par jour -, Facebook est devenu la plus grande communauté du monde, plus que n’importe quel pays du globe. En quinze ans, le réseau social, lancé le 4 février 2004 par Mark Zuckerberg, Dustin Moskowitz et Chris Hughes dans une chambre de l’université d’Harvard, a bien évolué. D’abord baptisé "The Facebook" et pensé pour les étudiants comme une version numérique de leur trombinoscope, la plateforme s’est petit à petit ouverte aux autres universités puis à tous les utilisateurs, en 2006.
Si elle est fascinante, c’est que l’ascension de Facebook s’est faite rapidement et de façon exponentielle : un million d’utilisateurs en moins d’un an (novembre 2004), 100 millions en quatre ans et un milliard en octobre 2012. "Personne n’aurait pu imaginer un tel succès, mais quand vous regardez ce qu’est Facebook aujourd’hui, c’est totalement différent de ce que nous avions créé en 2004", expliquait Chris Hughes, l’un des fondateurs du réseau social, à Europe 1 il y a quelques mois.
Une croissance turbulente
Le Facebook d’aujourd’hui n’a en effet plus grand chose à voir avec celui du départ. De nombreuses fonctions s’y sont ajoutées. Partage de photos, organisation d’événements, pages d’entreprises, messagerie instantanée, mais demain aussi pétition : Facebook est devenu la plateforme où l’on peut tout faire, ou presque. A Menlo Park, un mur d’écrans retrace les évolutions de l’entreprise depuis sa création. En omettant sciemment les zones de turbulences d’importance diverse traversées entre temps.
Exemple en septembre 2006 lorsque le réseau social lance le fil d’actualité pour organiser les contenus de manière plus pertinente dès la page d’accueil. En plus des "posts" partagés par ses amis, la page met en avant l’activité des autres utilisateurs et affiche régulièrement qu’un utilisateur a "aimé" ou "commenté" un message. Problème, la mise en place de ce fil suscite la bronca des plus de 5 millions d’utilisateurs. Beaucoup accusent le réseau d’espionnage et des groupes fleurissent pour dire à quel point ce nouveau système "est de la merde". Face au tollé, Mark Zuckerberg est contraint de réagir 48 heures plus tard. Pour calmer les esprits, il annonce la mise en place de nouveaux paramètres de confidentialité permettant de sélectionner ce que peuvent voir ses différents types de contacts. Et le patron l’admet, avant de s’excuser : "nous avons vraiment merdé dans cette histoire".
Avancer, et tant pis s’il faut s’excuser
Des excuses, il en a beaucoup été question en quinze ans. Jusque très récemment où elles ont atteint un niveau sans précédent. Car pour reprendre les mots de Mark Zuckerberg, Facebook "a merdé" à plusieurs reprises au cours des dernières années. Utilisation pour influencer les élections américaines ou le vote du Brexit, gestion discutable des données personnelles des utilisateurs, détection de failles de sécurité après plusieurs années, tentatives plus au moins avouables pour réduire la concurrence à néant et modération aléatoire des contenus haineux ont rythmé les trois dernières années du réseau social. Pourtant, à bien regarder sur la frise chronologique du siège de Facebook, il ne se serait d’ailleurs rien passé depuis mi-2017. Certainement un oubli prolongé de mise à jour...
C'est occulter que Facebook a tenté de camoufler le vol des données de 87 millions d’utilisateurs par la société britannique Cambridge Analytica pour les utiliser à des fins politiques durant la campagne présidentielle de Donald Trump. Oublier aussi que Mark Zuckerberg s’est retrouvé convoqué devant le Congrès américain en avril dernier pour s’expliquer sur ses agissements durant plusieurs heures.
Zuckerberg, personnage fascinant et déroutant
Ce jour-là, le patron de 34 ans avait troqué son traditionnel sweat à capuche pour un costume, avec cravate. Il n’avait pas l’air serein. Et pour cause : lui qui a horreur de s’exprimer en public n’est pas habitué à ce genre d’exercice. "C’est un personnage déroutant, presque flippant", pointe un responsable politique qui l’a rencontré à plusieurs reprises. "Il a un côté robotique, on a l’impression que tout est calculé chez lui. Et quoi qu’il fasse, il vous fait comprendre qu’il le réussira mieux que vous", poursuit-il.
Pouvait-il être au courant de tous les agissements de ses équipes ? Certainement pas. Peut-il être tenu responsable de tout ce dont on accuse le réseau social ces derniers mois ? Probablement pas. Sheryl Sandberg, chef des opérations et numéro deux du groupe depuis 2008, est aussi de plus en plus critiquée pour des décisions qui mettent en danger l’image du groupe. "Je ne vois pas comment elle pourrait rester en place", pointaient deux employés interrogés par Europe 1 en novembre dernier.
Pour ses quinze ans, c’est un Facebook "en état de guerre" que tente de reprendre en main Mark Zuckerberg tout en laissant sceptique bon nombre d’employés qui s’interrogent sur leur intérêt à rester dans l’entreprise. "Est-ce que finalement il n’est pas trop tard pour reprendre en main le groupe et faire le ménage ?", demande l’un d’eux souhaitant rester anonyme. "Quand on voit où l’on en est aujourd’hui, il y a de quoi se demander à quoi on ressemblera dans quinze ans", ajoute-t-il avant de rappeler que si Facebook arrive pour le moment à garder un nombre stable d’utilisateurs, les jeunes, eux, ne viennent plus sur la plateforme et lui préfère Instagram. "Une autre application de Facebook. C’est peut-être ça la plus grosse réussite de ses dernières années", souffle-t-il.