Aujourd’hui, il suffit de se rendre sur la page d’accueil d’un site pornographique et de promettre par un simple clic, ou par une entrée manuelle de la date de naissance, d’être majeur pour accéder à du contenu pornographique. Au final, il s’agit de la méthode de l’auto-déclaratif qui ne peut constituer un système fiable sur de tels sites.
Bercy, la Cnil et l’Arcom ont travaillé pendant plusieurs mois avec des sociétés spécialisées dans le numérique pour développer des solutions capables de certifier la majorité d’une personne sans dévoiler son identité. Exit la carte bancaire, délivrable avant 18 ans. La vérification par pièce d’identité est efficace mais semble contraignante ou intrusive. Et la délivrance d’un code unique par un bureau de tabac dépend elle de la fiabilité des contrôles des buralistes.
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Le pôle d’expertise de la régulation numérique (PEReN) envisage alors un mécanisme de tiers, voire de double tiers, qui endosserait le rôle de vérificateur d’âge de ses utilisateurs. Les sites pornographiques auraient l’obligation de réclamer une preuve de majorité fournie par ce tiers qui pourrait être "un opérateur télécom, un fournisseur d’identité numérique ou tout autre organisme susceptibles d’attester la majorité d’une personne", a indiqué le ministre Jean-Noël Barrot. "Le site sur lequel l'attestation est utilisée ne connaît pas l'identité de la personne. C'est cela le principe de double anonymat."
Comment ça fonctionne ?
Dans les faits, si un utilisateur souhaite accéder à un site pornographique, il devra s’inscrire auparavant auprès d’un service tiers et justifier de sa majorité avec un document officiel d’identité. "Un second tiers sera chargé de transférer les informations entre le site à accès restreint et le site vérificateur, de sorte que ce dernier ne connaisse pas le site réellement visité", précise le rapport du PEReN. En cela, ce mécanisme respecte le principe de double anonymat.
Un système fiable ?
D'après Pierre Emmanuel Frogé, avocat au sein du cabinet Bryan Cave Leighton Paisner (BCLP) à Paris, ce système paraît fiable mais doit être mis en pratique pour confirmer son bon fonctionnement. Car en réalité, on risque de "se heurter à la réalité du marché et à la bonne ou mauvaise volonté des acteurs, que ce soit les vérifications ou les sites pornographiques".
"Ce système, comme son nom l’indique, vise à garantir l’anonymat de la personne à accéder au site en question. De tous les systèmes envisagés, celui-ci qui fait intervenir un tiers vérificateur garantit le double anonymat de la personne. Ni le tiers vérificateur ni le site Internet n’a connaissance de l’identité de la personne. C’est celui qui fait peser le moins de risques en termes de données personnelles", détaille-t-il.
Un système qui pourrait donc très bien fonctionner et garder l’anonymat des utilisateurs selon Pierre-Emmanuel Frogé s’il est étendu à d’autres sites puisqu’aujourd’hui, ce système n’est mis en œuvre que pour les sites pornographiques.
Quelles limites ?
"Quand on analyse un peu les débats parlementaires et législatifs, on se rend compte que l'on va aller vers une véritable vérification de l'âge mais sur tous les sites. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas que les sites pornographiques qui diffusent du contenu pornographique", affirme l'avocat évoquant le réseau social Twitter sur lequel la pornographie est autorisée. "La pornographie et les autres formes de contenus pour adultes produits de manière consensuelle sont autorisées sur Twitter, à condition que les médias concernés soient marqués comme sensibles", est-il indiqué sur la plateforme.
L'approche du gouvernement devrait être toute autre selon Ludivine Demol Defe, chercheuse doctorante en sciences de l’information et de la communication. "En exerçant un tel contrôle, on va détériorer un plus le lien de confiance entre les jeunes et les adultes. D’un point de vue pédagogique et d’accompagnement des jeunes, c’est un désastre. [Ce système] ne va pas marcher, ça ne protégera pas les jeunes, on va empirer les choses", juge-t-elle.
D’autant plus que ce système ne "remplira pas les objectifs demandés". "Ils arriveront quand même à se procurer de la pornographie d’une autre manière. D'autres contenus émergeront sur d'autres plateformes non pornographiques (Snapchat, TikTok...) comme du contenu amateur qui existe déjà", ajoute-t-elle.
Vers une identité numérique ?
Au début du mois, l'Assemblée nationale a voté l’obligation pour les mineurs de moins de 15 ans d’obtenir l’accord de leurs parents pour se créer un compte sur les réseaux sociaux. Dans ce cas précis, l'identification de l'utilisateur s'arrête à l'âge, soit une des caractéristiques de l'identité d'une personne, mais cela pourrait entraîner un processus plus large, estime Pierre-Emmanuel Frogé, probablement une véritable identité numérique.