"Ben", "Brianna", "Emma", "Caitlin" et "Chloé" vantent sur Twitter les actions en faveur de la protection du climat prétendument prises par les Émirats arabes unis et Sultan Al Jaber, président de la prochaine COP et dirigeant de géant pétrolier. Mais pourtant, ces cinq personnes n’existent pas. Il s'agit de faux profils identifiés par les chercheurs sous le nom de "blondes américaines".
Impossible de retrouver trace ailleurs en ligne de leur existence, et leurs photos ont vraisemblablement été générées avec de l'intelligence artificielle. Tous relaient des messages similaires et ont été créés en quelques heures en août 2022, selon une analyse menée par Climate Action Against Disinformation (CAAD), qui regroupe plusieurs organisations non-gouvernementales.
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Les spécialistes interrogés par l’AFP ont identifié plusieurs dizaines de comptes impliqués dans des offensives pro-Émirats : c'est le principe de l'"astroturfing", une technique visant à influencer l'opinion sur les réseaux sociaux. Un porte-parole de la COP28 a déclaré que ces comptes avaient été "générés par des acteurs extérieurs inconnus et sans lien avec la COP28" et qu'ils étaient "clairement conçus pour discréditer la COP28 et les discussions sur le climat".
La COP28 a également dit avoir signalé ces comptes à Twitter, et demandé à la plateforme de prendre "des mesures immédiates pour mettre fin à ces activités". De nombreux comptes semblent depuis avoir été suspendus.
Greenwashing
Des représentants politiques américains et européens avaient appelé Sultan Al Jaber à abandonner son rôle de président de la COP28, estimant qu'en tant que dirigeant de la compagnie pétrolière nationale émiratie ADNOC, il se trouvait dans une position de conflit d'intérêts. Lorsque Romain Ioualalen de l'ONG Oil Change International s'est inquiété sur Twitter du risque que la COP28 "ralentisse la transition vers l'abandon des combustibles fossiles", "Caitlin", une "avocate" basée à Dubaï, lui a répondu que Sultan Al Jaber pourrait au contraire "changer la donne", tandis qu'"Emma", une "écologiste", a fait l'éloge de sa "passion pour l'action climatique".
Après que le Centre for Climate Reporting (CCR) a accusé l'entourage d'Al Jaber de modifier des pages sur Wikipédia pour minimiser son rôle à la tête de l'ADNOC, des comptes prétendant être des jeunes non-émiratis sensibilisés au changement climatique ont aussi contre-attaqué, a expliqué à l'AFP le directeur du CCR, Lawrence Carter. Une de leurs photos de profil affichait en filigrane l'adresse d'un générateur de faux visages en ligne et plusieurs autres provenaient de banques d'images.
Diogo Pacheco, chercheur en informatique à l'université d'Exeter, a déclaré à l'AFP après avoir examiné plusieurs comptes, qu'ils semblaient "inauthentiques", notant que certains avaient changé leur nom d'utilisateur ou biographie après avoir été signalés. "Il serait très inhabituel que des vraies personnes créent et utilisent ce type de fausses photos de profil", a aussi souligné Katharina Kleinen von Koenigsloew, professeure de sciences de la communication à l'université de Hambourg.
La CAAD a décrit un "effort coordonné" impliquant au moins 28 comptes faisant la promotion de ce pays du Golfe et présentant des "schémas suspects" de tweets.
Désinformation massive
Le chercheur spécialisé dans la désinformation en ligne Marc Owen Jones a identifié 93 comptes impliqués dans cette campagne, dont certains ont été créés il y a plus de deux ans, a-t-il précisé à l'AFP. Ils se sont principalement concentrés à donner de la visibilité au compte de la COP28, a-t-il expliqué.
"Habituellement, dans ce genre d'opérations, c'est une entreprise spécialisée dans les relations publiques qui diffuse les messages", a ajouté M. Jones, de l'Université Hamad Bin Khalifa au Qatar, un pays rival des Émirats arabes unis. "Mais il est très difficile d'en obtenir la preuve", a-t-il ajouté.
Avant le rachat de Twitter par le milliardaire Elon Musk l'année dernière, la plateforme avait annoncé avoir supprimé les comptes liés à des "opérations d'information soutenues par les États" dans des pays du Moyen-Orient, dont les Émirats arabes unis.
Concernant les comptes tweetant sur la COP28, Jamie Henn, directeur du groupe de l'ONG Fossil Free Media, a déclaré à l'AFP qu'en plus de dix ans de suivi des négociations climatiques de l'ONU, il n'avait "jamais vu une campagne de désinformation d'une telle ampleur".