Attentat d'Arras : un an après, l'enquête centrée sur l'assaillant, son frère et son cousin

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avec AFP
Un an après l'assassinat du professeur Dominique Bernard, 57 ans, à Arras, les juges antiterroristes semblent avoir mis au jour les responsabilités dans cet attentat. L'enquête se concentre désormais sur Mohammed Mogouchkov, son cadet et son cousin.

Un an après l'assassinat du professeur Dominique Bernard à Arras, dans le Pas-de-Calais, les juges antiterroristes semblent avoir mis au jour les responsabilités dans cet attentat où, fait rare, l'assaillant est encore en vie. Le 13 octobre 2023, Mohammed Mogouchkov, un jeune Russe originaire d'Ingouchie s'est rendu dans son ancien lycée et y a poignardé l'un de ses ex-professeurs, Dominique Bernard, 57 ans. Il y a aussi blessé un professeur d'EPS et deux employés de l'établissement, avant d'être interpellé.

 

Douze autres personnes avaient été placées en garde à vue. Dix avaient été relâchées faute d'éléments : la mère de l'assaillant - en opposition avec son fils -, son frère aîné - lui-même condamné pour ne pas avoir dénoncé un projet d'attentat aux abords de l'Elysée -, un prisonnier radicalisé... Mohammed Mogouchkov, son cadet et son cousin avaient, eux, été mis en examen. Un an après, ils restent les seuls poursuivis. Contactés, leurs avocats n'ont pas commenté.

"Allah m'a commandité"

Mohammed Mogouchkov a été mis en examen le 17 octobre pour assassinat et tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Lors de trois interrogatoires, il a assuré avoir volontairement ciblé le professeur de français Dominique Bernard, car il enseignait "l'une des matières où on transmet la passion, l'amour, l'attachement du système en général de la République, de la démocratie, des droits de l'Homme".

"La particularité de cet attentat est que l'assaillant est encore en vie et revendique une contestation violente des valeurs républicaines. On assiste à une focalisation assez nouvelle, de la part de la mouvance islamiste, sur l'école de la République", a estimé l'avocat Richard Malka, qui représente l'épouse de Dominique Bernard. Lors de l'enquête, Mohammed Mogouchkov a répété avoir agi seul, en élaborant un plan "une à trois semaines" avant l'attentat.

"C'est Allah, c Lui Seul, qui m'a commandité. (...) Le Coran, si chaleureux, c lui qui m'a chauffé, ses pages, ses versets (sic)", écrit-il notamment dans l'un des poèmes fleuves qu'il rédige en prison et que l'AFP a pu consulter.

Le jeune frère et le cousin

Son frère, aujourd'hui âgé de 17 ans, est poursuivi pour complicité d'assassinat et de tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste, ainsi que pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Il est écroué. Principal élément à charge: il possédait un couteau et a confié en octobre aux enquêteurs avoir répondu aux questions de Mohammed sur son maniement "quelques semaines avant l'attentat". Il a aussi expliqué "parler de tout" avec Mohammed, même de décapitation.

La veille de l'attentat, il a raconté avoir contacté son cousin, pensant que Mohammed Mogouchkov préparait une "action violente" ou un "départ pour le jihad" mais pas un attentat. En mai, il nuance devant le juge : "le stress" a "grossi mes propos".

Leur cousin, aujourd'hui âgé de 16 ans et placé sous contrôle judiciaire, est poursuivi pour abstention volontaire d'empêcher un crime, accusé d'avoir été informé du projet et de ne rien avoir fait pour l'empêcher. Lui conteste : quand le frère lui a confié, le matin-même, qu'il craignait que son aîné "Mohammed fasse de la merde", il a seulement pensé à un départ de Mohammed en Ingouchie. À la mi-août, la juge a rejeté sa demande de démise en examen.

Connexions téléphoniques

Ces derniers mois, les enquêteurs ont entendu de nombreux témoins pour dessiner la personnalité des mis en cause: anciens professeurs, camarades... Les investigations techniques se poursuivent aussi pour "maîtriser l'ensemble des connexions distantes que (Mohammed Mogouchkov) a pu (...) avoir par téléphone avec des personnes plus ou moins proches, dans le réseau relationnel mais aussi sur le plan géographique", a expliqué le procureur antiterroriste Olivier Christen, dans un entretien accordé mercredi à La Voix du Nord.

Les frères Mogouchkov étaient notamment en contact téléphonique avec leur père, fiché S pour radicalisation islamiste et expulsé de France en 2018. Après l'attentat, celui-ci a condamné l'acte de son fils auprès de l'AFP, tout en expliquant en vouloir à la France qui "déteste l'islam". Par ailleurs, l'enregistrement où Mohammed Mogouchkov a prêté allégeance au groupe Etat islamique avant l'attentat a été envoyé "vers deux comptes Telegram administrés par l'EI", selon les enquêteurs.

Le Pnat a enregistré 25 parties civiles. Parmi elles, Isabelle Bernard, épouse du professeur. Fin décembre, elle a indiqué aux juges que son mari n'avait pas reçu de menace avant d'être tué. "J'apprends à vivre l'absence", avait-elle sobrement témoigné en audition.