Laurent Vinatier, travaillant pour une ONG suisse de résolution des conflits et arrêté la veille à Moscou, est suspecté d'avoir illégalement récolté des informations sur les activités militaires de la Russie. Mais il a été formellement poursuivi à ce stade pour avoir violé une loi traitant des "agents de l'étranger", législation utilisée par Moscou pour réprimer ses détracteurs, et un délit passible de cinq ans de prison.
Mais le langage des enquêteurs, qui évoquent une "collecte ciblée d'informations dans le domaine des activités militaires et militaro-techniques de la Russie", laisse présager des poursuites encore plus graves. Les informations qu'il aurait récoltées, "si elles sont obtenues par des sources étrangères, pourraient être utilisées contre la sécurité de l'État" russe, a affirmé la même source sans plus de précisions.
Selon des sources interrogées par l'AFP, Laurent Vinatier, né en 1976, travaillait depuis de longues années sur le conflit entre la Russie et l'Ukraine, dans le cadre de discrets efforts diplomatiques en parallèle des États. L'employeur de ce Français, l'ONG suisse Centre pour le dialogue humanitaire, a demandé jeudi "la libération" de son collaborateur.
Détention préventive
"Les enquêteurs ont l'intention de demander au tribunal du district de Zamoskvoretski de Moscou de prendre une mesure de sûreté à l'encontre de l'accusé", a indiqué le Comité d'enquête russe, sans préciser s'il allait demander un placement en détention préventive comme c'est généralement le cas dans ces affaires.
Le président français Emmanuel Macron a indiqué jeudi soir à la télévision française qu'"en aucun cas c'était quelqu'un qui travaillait, qui travaille pour la France" et qu'il travaillait bien pour une ONG suisse "qui fait de la diplomatie". "Il recevra toutes les protections consulaires qui conviennent dans un tel cas. Mais je voulais ici rétablir la vérité face aux intoxications qu'on entend", a-t-il dit.
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Laurent Vinatier travaillait depuis des années sur le conflit russo-ukrainien, déclenché en 2014 par l'annexion russe de la Crimée et une rébellion pro-russe dans l'Est ukrainien. Selon plusieurs sources interrogées par l'AFP, il était engagé dans une diplomatie discrète, voyageant à la fois en Russie et en Ukraine même après l'assaut russe du 24 février 2022.
Les médiateurs de HD travaillaient en effet dans la confidentialité et hors des carcans de la diplomatie classique, ce qui permet des contacts informels entre adversaires, mais expose aussi ces acteurs à des accusations d'espionnage. Christophe Lemoine, porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, a indiqué que Paris a "exigé des informations du Comité d'enquête (russe) sur le motif de l'arrestation de notre compatriote".
Tensions entre Paris et Moscou
L'arrestation annoncée de ce Français intervient en plein accroissement des tensions russo-françaises, justement du fait de l'Ukraine. Paris s'efforce de convaincre ses alliés d'envoyer des instructeurs militaires dans ce pays pour former les troupes ukrainiennes, en difficulté face aux forces de Moscou. Emmanuel Macron a également évoqué l'envoi de troupes, suscitant la colère du Kremlin et de nouvelles menaces d'escalade.
En outre, l'arrestation est intervenue au lendemain de l'interpellation d'un Russo-Ukrainien, soupçonné d'avoir projeté une action violente en France, à moins de deux mois du début des Jeux olympiques à Paris, un défi sécuritaire pour les autorités françaises.
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Moscou est aussi suspecté de multiples actions d'interférence, d'intimidation ou de désinformation en France, des accusations que la Russie a qualifié de "russophobes". Parmi les actions pour lesquelles la main de Moscou est soupçonnée : des cercueils installés début juin au pied de la tour Eiffel, des tags en mai sur le mémorial de la Shoah, des étoiles de David bleues marquées au pochoir à Paris et dans sa banlieue en octobre 2023.
La Russie détient plusieurs Américains dans ses prisons et est accusée de procéder à de telles arrestations pour ensuite négocier des échanges de prisonniers afin de libérer ses agents. C'est le cas notamment du journaliste américain Evan Gershkovich, accusé d'espionnage en Russie malgré ses dénégations, celles de ses proches, de son pays et de son employeur. Moscou semble vouloir l'échanger contre un homme condamné en Allemagne pour avoir commis un assassinat pour le compte des services spéciaux russes.