En Angleterre, le mentaliste Derren Brown est une star nationale. Les Américains aussi ont leur prestidigitateur : David Copperfield. Mais cette culture de la magie a du mal à prendre en France. Ce constat, c'est celui d'Eric Antoine. Ce magicien professionnel, comédien dans l'âme, très grand, l'œil farceur et les cheveux en bataille, entame sa cinquième saison au côté de Michel Drucker dans Vivement Dimanche Prochain, et prépare un nouveau spectacle pour l'Olympia, "Magic Délirium", qu'il jouera en décembre. Et Eric Antoine a une explication empirique : "Nous les Latins, on n'aime pas trop se faire avoir. Quand un mec fait un truc fou, ce qu'on veut savoir immédiatement c'est : comment ça marche ?" Parmi un public d'éternels Cartésiens, pas étonnant que le personnage scénique qu'il a façonné fonctionne : car sur les planches, Eric Antoine se moque facilement de la magie et de lui-même. Retour sur un métier ensorceleur.
Les premiers pas. Le tout premier contact avec la magie, c'est lorsque sa mère fait venir un magicien pour un goûter d'anniversaire. "J'avais sept ans et c'est le premier magicien que j'ai vu", raconte Eric Antoine. Premier choc. Le jeune Eric Antoine est "absolument éberlué par ce que l'illusionniste est capable de réaliser. Sept ans, c'est l'âge où tu comprends que la magie n'existe pas, mais que si un mec est capable de le faire, c'est qu'il y a un travail extraordinaire derrière. J'étais vraiment resté scotché et je revois ce mec très gentil, dont je n'ai plus le nom, dont je n'ai plus rien, mais qui m'avait fait quelques tours en plus, pour moi tout seul", se souvient-il. Eric-Antoine passe sa première nuit blanche. Il retourne les tours dans tous les sens pour comprendre. Puis, plus rien. Il n'a plus aucun contact avec le monde de la magie. C'est par hasard, six ans plus tard, qu'il tombe sur une boutique d'accessoires de magicien. "C'est même la plus ancienne boutique au monde d'accessoires de magie, Mayette Magie Moderne, qui se trouve à Saint-Germain à Paris", dit-il. Le futur illusionniste, âgé de 13 ans, achète alors un premier livre, et commence "à apprendre la magie des cordes, et des cartes." Un an plus tard, à 14 ans, il montait pour la première fois sur scène, dix minutes de magie dans un spectacle de 24h, imaginé par une association.
"Comme un musicien". "Au début, c'est exactement le même travail que celui d'un musicien", explique Eric Antoine, qui a fait ses gammes, comme tous les magiciens, avec un paquet de cartes. "C'est l'objet classique des débuts du magicien parce que c'est celui qui demande le plus de dextérité, une motricité très fine, une coordination, une dissociation, assez longues à l'apprentissage". Arrive ensuite le moment où le prestidigitateur en herbe est capable de changer d'objets, plus usuels, comme des pièces ou des billets.
La magie est surtout un puits sans fond : "comme au piano, tu peux t'entrainer toute ta vie et toujours gagner ce dixième de dixième de seconde pour faire le mouvement, qui le rend tellement plus fluide", précise le magicien.
Regardez Eric Antoine se livrer à un tour de magie pour Europe1.fr :
Comment devient-on… magique ? Le magicien en devenir doit appréhender les premiers concepts de base : comprendre que ce qu'il réalise sur scène ne doit pas être visible par le spectateur. Une possibilité qui n'a pas fini de plaire à Eric Antoine : "Plus on avance dans ce métier, plus on se rend compte du nombre de choses qu'on peut cacher au public !" se réjouit-il. Magicien, un métier d'escroc ? "Le bon magicien, c'est comme le bon médecin", plaisante Eric Antoine, sourire aux lèvres. "C'est celui qui arrive à te convaincre qu'il est bon." Avec le même tour, les prestations peuvent être assez inégales. "Pour moi, il est important d'incarner le rôle du magicien de belle manière, un peu comme on trouve 'son clown'. Eric Antoine a justement construit un personnage un peu "clownesque". "L'humorillusionniste", comme il se qualifie lui-même, est en effet un magicien hybride, mi-comédien, mi-humoriste.
Plutôt performeur, ou créateur ? Eric Antoine distingue deux types de magiciens : les performeurs et les créateurs. "Les créateurs sont souvent assez peu charismatiques. Ils sont plutôt tournés vers l'ingénierie, la pensée et ne sont pas forcément à l'aise sur scène", confie le magicien. Eric Antoine, lui, avait envie d'être aussi "un metteur en scène". Il est donc passé par des écoles de théâtre, s'est frotté à la mise en scène. Sa passion pour la magie s'est finalement alliée à celle du théâtre. Du "close-up", la magie dite "de proximité", qui se déroule devant un public restreint, il est passé à "la grande illusion", celle "qui permet de faire apparaitre des choses un peu folles sur scène". Cette forme de magie emploie tous les concepts de base mais aussi de la technologie, de l'ingénierie ou de la mécanique.
Comment on construit un spectacle de magie ? Eric Antoine écrit ses numéros, sans savoir comment il va les réaliser. Mais l'illusionniste ne se facilite pas la tâche : "Je suis dans une baignoire. Je veux qu'un homme grenouille et une sirène en sortent. Je veux aussi être nu au début, et ressortir habillé, sec et en costume cravate" détaille-t-il. Avec son collègue magicien Sébastien Clergue, ils "inventent" alors la magie du spectacle : ils partent de l'idée et commencent à chercher les voies de sa réalisation. C'est un jeu de piste. Souvent d'ailleurs, quand les magiciens observent le travail des autres, c'est la même démarche "d'enquête policière" pour comprendre "l'effet magique" : "Il s'est tenu dans cette position, il a dit tant de mots, il avait la main à tel endroit, l'autre ici, l'une était invisible, l'autre visible, ça veut dire qu'il y a un détournement d'attention comme ça, et on décortique pour retrouver une méthode." Le spectacle de l'Olympia, Eric Antoine a mis environ un an à le créer avec son équipe. Cette fois ci, comme il a prévu des numéros assez imposants, il a même fait appel, plus d'un an avant le démarrage du show, à des constructeurs. Ce sont eux qui vont se charger de réaliser la baignoire destinée à la scène, qui doit être surélevée et que le public doit pouvoir voir sous tous les angles.
Est-ce qu'on a le trac ? Les magiciens ne coupent pas au trac. Le jour où on l'a rencontré, Eric Antoine venait de réaliser un numéro, qui durait environ sept à huit minutes, pour la télévision, dans les conditions du direct : "j'avais des aiguilles, que je devais recracher. C'est un numéro que je n'avais jamais fait, j'ai eu peur. Même un magicien peut donc "transpirer à grosses gouttes" sur scène. Et le métier comporte des risques : "Je pensais aussi à l'éventualité de me coincer une aiguille dans la gorge !" dit-il.
Et si un tour rate ? Un magicien a beau être magique, il arrive qu'il rate son tour. "Moi j'ai cette chance d'être humoriste donc, en ce qui me concerne, les gens ne savent pas quel tour je vais réussir ou rater", sourit Eric Antoine, qui avoue pourtant ne pas tout contrôler, et rater certains tours… sans l'avoir prévu. "Malheureusement ça arrive, tu as une petite douleur là, tu es un peu fatigué, moins concentré, c'est comme une note de musique, tu la loupes. Il suffit d'un mauvais mouvement et tu as raté ton tour. Donc soit il y a la catastrophe industrielle, qui m'est arrivé, quand tu es en direct à la télévision, devant quatre millions de téléspectateurs. Là, tu te rattrapes comme tu peux et tu refais autre chose derrière. Soit, il y a aussi le truc qui ne se voit pas, tu reprends et personne ne s'en doute." Là encore, le comédien vient bien souvent à la rescousse du magicien.
Eric Antoine sera à l'Olympia du 4 au 31 décembre prochain, avec son nouveau spectacle Magic Délirium. Qui sait s'il aura finalement réussi à faire surgir un homme grenouille et une sirène de sa baignoire…