Michael Jackson, Cesaria Evora, Marvin Gaye, Billie Holiday… Ces artistes américains et africains ont marqué l’histoire des musiques populaires au XXe siècle. De Harlem aux Caraïbes, en passant par Londres ou Paris, d’innombrables chants ou rythmes ont forgé le concept de "musique noire", créé dans les années 60. Née dans les champs de coton, puis émancipée avec le free jazz, que signifie cette expression de "musique noire"? Alors qu’elle est au cœur d’une exposition, "Great Black Music", à découvrir à partir du 11 mars à la Cité de la Musique à Paris, nous avons demandé à Emmanuel Parent, anthropologue, spécialiste des musiques afro-américaines et maître de conférences l’université de Rennes 2, de nous éclairer sur ce concept controversé.
Quand est-elle née ? "L’expression a été inventée dans les années 60 par "l’Art ensemble of Chicago", un collectif de free jazz. Sur scène, les musiciens mêlaient l’archaïsme et l’ultramoderne : La "Great Black Music" devient alors un concept, et une expression, celle de "musique noire", qui fait sens pour les musiciens et les amateurs, car elle souligne la continuité entre différents styles : blues, jazz, RnB, soul, hip hop et au-delà des États-Unis."
D’où vient-elle ? "Cette "musique noire" n’est pas un héritage de l’Afrique. Elle est la transcription musicale de l’idée de panafricanisme, c'est-à-dire de l’identité commune de la diaspora noire, du destin commun des Afro-descendants. Le concept est parti des Etats-Unis avant de revenir en Afrique, et pas l’inverse. De même, la circulation entre musique noire et blanche existe depuis longtemps. Les musiciens comme Elvis Presley ou Johnny Clegg ont donc complètement leur place dans l’exposition."
Qu’exprime-t-elle ? "La musique noire est surtout une expression culturelle communautaire, qui sert à exprimer une identité. La musique déborde toujours les groupes sociaux. Dans les années 60, musique et politique sont indissociables. Ce qu’on appelle la "musique noire", permet d’exprimer des revendications progressistes, qui remontent aux champs de coton, à l’esclavage, et à l’apartheid."
Fait-elle consensus ? "Le concept paraît bien vaste, et fait même polémique. Pour certains musicologues, comme Philip Tagg , parler d’un concept de musique noire ne tient pas vraiment. Si le concept racial n’est pas scientifiquement valide, la dimension culturelle de cette expression est pertinente : la culture noire est portée par les descendants de la diaspora africaine, mais n’est pas liée bien sûr à leur couleur de peau."
Le chanteur jamaïcain de reggae Max Romeo, en 2011.
Comment sonne-t-elle ? "Le "call and response" (le principe des questions /réponses du prêcheur) est l’une des principales caractéristiques de cette Black Music, qu’on retrouve notamment dans le gospel, le jazz ou le blues. On parle aussi des "dirty notes " (le son sale en français), pour évoquer la recherche d’un son saturé, en guise de signature. Avec le son violent de la guitare électrique, avec le rock ou encore la trompette wah-wah du jazz des années 30 qui, grâce à une sourdine, donne un effet acoustique très particulier qu’on retrouve dans l’orchestre de Duke Ellington ou même différemment chez Miles Davis, la musique noire prend ses distances avec le son classique produit par l’Europe. Aujourd’hui, ces façons de faire sonner la musique différemment ont traversé les époques et les styles et continuent de structurer les musiques noires."
L’exposition Great Black Music, à Paris, rend hommage à la diversité musicale de la musique noire. Rendez-vous à partir du 11 mars à la Cité de la musique. Avec la Revue Volume !, la revue de recherche universitaire sur les musiques populaires en France, un ensemble de chercheurs a tenté de faire le point sur cette question, tant du point de vue du concept de musique noire que de la question complexe de son héritage, aujourd’hui, dans la culture hip hop, y compris dans ses versions les plus mainstream
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