Ils ont une baguette, l'agitent devant des musiciens qui ont une partition et connaissent le morceau, ils donnent le signal de départ et battent la mesure… Mais peut-on vraiment résumer à cela le travail des chefs d'orchestre ? Méconnue, leur tâche est plus complexe qu'il n'y paraît, comme l'explique dimanche au micro d'Isabelle Morizet la claveciniste et cheffe d'orchestre Emmanuelle Haïm, à l'occasion de son invitation dans l'émission Il n'y a pas qu'une vie dans la vie.
Emmanuelle Haîm explique que la même œuvre (avec les mêmes musiciens et les mêmes chanteurs) diffèrera si elle est dirigée par deux chefs d'orchestre. "Toutes les indications de tempo ne sont que des indications un peu verbales", explique-t-elle. "Par exemple : 'Allegro moderato', c'est-à-dire 'gaiement, mais pas trop', comment est-ce que chacun l'entend ? On peut entendre cette indication de tempo d'une façon ou d'une autre, dans la musique baroque, mais aussi dans le reste. Et ce jusqu'à très tardivement."
Une question de ressenti et d'interprétation de la musique
Selon Emmanuelle Haïm, il va de même des indications de phrasés sur les partitions. "En musique, on ne saurait absolument tout écrire", précise la cheffe. "Donc tout va dépendre de la façon dont un ou une cheffe va ressentir un phrasé. Est-ce un élan vers ce moment-là ? Ou est-ce un renoncement ? Pour n'importe quelle chanson, il n'y a pas deux personnes qui vont entendre un texte de la même façon. Les gens vont chacun sentir les choses complètement différemment."
Ces différences de résultat avec une même matière frôlerait presque le concept de réécriture. "Et c'est ça l'interprétation. C'est ça qui fait justement l'intérêt", résume Emmanuelle Haïm. "Sinon, à quoi bon rejouer, s'il n'y avait qu'une seule version (et toujours la même) qu'il faudrait reproduire ? On peut aussi doser les choses, décider que c'est le hautbois que l'on va souligner là, parce qu'il est plus fragile et que l'on a envie d'entendre ça. Ou que, tout d'un coup, les cordes vont être pétillantes. Ou, au contraire, piquantes et un peu méchantes."
"C'est un peu comme un jeu à plusieurs"
Autant de choix d'interprétation que le talent du chef d'orchestre consiste à faire comprendre aux musiciens d'un simple mouvement de sa baguette. Et ces choix peuvent aller jusqu'à modifier l'émotion transmise au public.
"Tel air, que l'on pourrait penser très tragique, on va se dire que non, pour finir, il aura un peu de recul et une note d'espoir. Ou bien il est ambigu. C'est-à-dire qu'il est tragique, mais qu'il n'y croit pas", illustre à nouveau Emmanuelle Haïm. "Et tout cela dépend de la personne que vous avez en face de vous : tout d'un coup, il va y avoir une proposition de l'un des solistes de l'orchestre. C'est un peu comme un jeu à plusieurs. Et heureusement ! Parce que si c'était juste une chose imposée tout le temps et seulement ça, ce ne serait pas drôle."