Un monument de la musique française s'est éteint lundi, à l'âge de 94 ans. Charles Aznavour est mort, mais sa voix, elle, restera vivante encore longtemps. Ses chansons, tantôt populaires, tantôt romantiques, mais toujours interprétées avec une sincérité déroutante, rappellent déjà son immense talent d'auteur et d'interprète. Ses mots, soufflés aux micros des journalistes et tout aussi sincères, évoquent quant à eux un homme mû par la passion, jusqu'à ses derniers jours.
Europe 1 revient en archives sur la carrière de Charles Aznavour.
- La réussite en dépit des critiques
"À dix-huit ans j'ai quitté ma province, bien décidé à empoigner la vie, le cœur léger et le bagage mince, j'étais certain de conquérir Paris". Les paroles de son premier grand triomphe, Je m'voyais déjà (1961), ne sont pas autobiographiques mais ont ceci de vrai que le chanteur, d'origine arménienne et né par hasard à Paris le 22 mai 1924 -ses parents étaient dans l'attente d'un visa pour les États-Unis- , a toujours été persuadé qu'il réussirait à vivre de son métier, malgré une voix et un physique souvent raillés par les critiques de l'époque.
"J'ai ramé, mais j'ai ramé sur des eaux qui ne me déplaisaient pas finalement. Parce que je suis un être optimiste, je savais –je ne me disais pas que j'allais faire une carrière extraordinaire, ce n'est pas vrai– mais je savais que je m'en sortirai un jour, que je gagnerai bien ma vie et même très bien ma vie dans mon métier", confiait-il le 11 mars 2006, au micro de Nathalie Saint-Cricq dans l'émission Quand J’Étais Petit.
Une réussite qu'il voyait d'ailleurs comme "une lueur d'espoir pour les gens qui croient qu'ils ne peuvent pas réussir parce qu'ils ne sont pas dans les normes habituelles de la réussite", expliquait-il déjà le 18 janvier 1968 au micro d'Europe 1.
- L'amour de l'écriture
Si c'est d'abord avec sa voix qu'il a gagné l'amour du public à la fin des années 1950, c'est bien la passion des textes et l'obsession des mots qui ont guidé la carrière de Charles Aznavour. Avec une attention toute particulière à l'ouverture de ses chansons. Parmi les plus marquantes, "Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître" (La Bohème, 1965) ou encore "J'habite seul avec maman, dans un très bel appartement" (Comme ils disent, 1972), une chanson sur le thème de l'homosexualité, abordée pour la première fois sans sarcasme ni détours.
"Qu'on reconnaisse mon talent d'écriture, c'est ça qui me touche. De compositeur, même pas. D'auteur", insistait-il le 6 novembre 2013 au micro de Nikos Aliagas. "De quelqu'un qui vient de nulle part et qui a quand même appris sa langue. Je me rends compte que mon vocabulaire est plus étoffé que beaucoup mais que je suis quand même bien en-dessous de gens que j'apprécie, surtout chez les écrivains", nuançait-il, à la fois fier et modeste.
- Aznavour l'engagé
Ambassadeur inlassable de son pays d’origine, Shahnourh Varinag Aznavourian de son vrai nom a souvent dénoncé le génocide arménien, en chanson (Ils sont tombés, 1975) comme en interview. En 2015, il s'était ainsi rendu au centenaire du massacre ayant décimé une partie de sa famille.
"Si je n'y allais pas, mes amis arméniens ne le comprendraient pas", justifiait-il dix jours plus tôt dans l'émission Sortez du cadre, présentée par Nikos Aliagas. "Ça doit changer, ça va changer", disait-il, toujours aussi optimiste. "La jeunesse va un jour se révolter… [elle] ne voudra pas avoir une tâche de sang sur son front dans les années qui vont venir".
Un an plus tôt, dans la Matinale de Thomas Sotto, il avait également évoqué le sort des minorités massacrées en Irak et en Syrie. "Prenez-en un chez vous ! Aidez-les à rentrer quelque part ! Trouvez-leur un appartement !", avait-il notamment appelé. "On ne peut pas vivre comme ça, en égoïste ! Il faut faire quelque chose !", avait-il martelé.
- Jusqu'au bout, la scène
Charles Aznavour, c'est aussi et surtout une carrière d'une rare longévité : plus de 70 ans à arpenter les scènes du monde entier. En 2014, pour ses 90 ans, le chanteur avait même entrepris une tournée mondiale, passant par Israël, la Russie, l'Allemagne les États-Unis ou encore l'Arménie, évidemment. Passer sa retraite à cultiver des oliviers ? Très peu pour lui.
"Ce n'est pas profiter ça, c'est baisser les bras et abandonner. Tant qu'il y a un public qui vient, tant qu'on aime mes chansons, je continue", affirmait-il le 7 février 2010, face à Marc-Olivier Fogiel dans La Personnalité du jour. "Ce ne sera pas pareil. Ils ne me verront pas de la même manière. Je n'entrerai pas sur scène avec cette facilité que j'avais parce qu'aujourd'hui, je traîne un peu la patte. Il faut jouer avec son âge", continuait-il. Mais toujours avec la même constance. "Jamais je ne suis passé à côté d'un spectacle. Même quand la voix n'est pas bonne, elle doit l'être. On entre sur scène avec mal à la tête, la gorge qui ne va pas, et en deux chansons, tout est oublié…"
- Plus que la mort, la peur "de ne plus vivre"
Chanter jusqu'à ne plus pouvoir le faire. Une manière, sûrement, de garder la mort à distance, cette "garce qui vient chercher les gens trop tôt", disait-il.
"J'ai toujours eu l'impression que je n'aurais pas terminé mon travail avant d'avoir quitté ce monde. (…) Il y a encore plein de sujets que je n'ai pas exploités", lançait encore le chanteur le 29 août 2011, au micro de Bruce Toussaint sur Europe 1. Avant de donner un conseil à ses cadets : "Vous êtes jeune, profitez de votre jeunesse le mieux possible. Allez au maximum de ce que vous pouvez en tirer. C'est très important, parce que la jeunesse, elle ne vous quittera jamais". Ses chansons non plus.
- La France au cœur
Jusqu'au bout, Charles Aznavour a gardé un œil aiguisé sur son pays, la France. Avec son franc-parler habituel, il s'était dit "très déçu de ce qu'il se passe en France", mi-septembre au micro de Nikos Aliagas.
"Je suis très déçu que l'on fasse passer mille choses avant la chose la plus importante : notre pays. (...) La gauche, la droite, je ne connais pas. Je ne connais qu'une chose, c'est la France". Toute la France, elle, connaissait ce fils d'Arménien devenu monument national. Et elle le pleure déjà.
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