1.400 chansons et quelque 80 films : Charles Aznavour a su conquérir le cœur de plusieurs générations de Français tout en s'exportant avec succès à l'étranger. Il s'est éteint le lundi 1er octobre à l'âge de 94 ans. Il avait eu six enfants issus de trois mariages. Nommé commandeur de la Légion d'honneur en 2004, il avait aussi reçu en 2010 une Victoire de la musique d'honneur pour l'ensemble de sa carrière.
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La bohème, dès son plus jeune âge
C'est sur la route de l'exil que Chahnour Vaghinag Aznavourian est né, le 22 mai 1924, à Paris. Ses parents d'origine arménienne, Mischa et Knar, enchaînent les petits métiers. Sur leur temps libre, ils montent des spectacles pour le plus grand bonheur du public, souvent issu de la diaspora arménienne. Cette ambiance artiste et bohème nourrit le petit Charles. Il quitte l'école après son certificat et rejoint avec sa sœur, Aïda, "les bancs de l'école du spectacle". À la recherche du "cacheton", ils font quelques apparitions dans des pièces de théâtre.
Des rencontres qui décident d'un destin
En 1941, Charles Aznavour se met en duo avec le pianiste Pierre Roche. À partir de 1944, ils interprètent dans les music-halls des chansons burlesques de leur cru. C'est Edith Piaf, une enfant de la balle comme Charles, qui les remarque. La Môme, dénicheuse de talenst, les prend sous son aile pour une tournée en France et en Amérique du nord. Au Québec, après avoir enchaîné les représentations, le duo se sépare. Charles rentre en France. Tout est à recommencer, en solo cette fois-ci.
"Les professeurs m'ont déconseillé de chanter"
Malgré les conseils de la Môme, le succès se fait timide. Charles Aznavour est lucide : "Quels sont mes handicaps ? Ma voix, ma taille, mon manque de culture et d'instruction, mon manque de personnalité. Ma voix ? Les professeurs que j'ai consultés sont catégoriques : ils m'ont déconseillé de chanter. Je chanterai pourtant, quitte à m'en déchirer la glotte", écrit-il dans Aznavour par Aznavour (Fayard, 1970). Un entêtement payant. En 1956, après un passage à l'Olympia et un premier succès populaire, Sur ma vie, Aznavour trouve enfin son public. En 1960, à l'Alhambra, c'est la consécration avec un tonnerre d'applaudissements après J'me voyais déjà. Aznavour a 36 ans.
Un chanteur amoureux
Charles Aznavour enchaîne alors les tubes : Les Comédiens, La mamma, Et pourtant, Hier encore, For Me Formidable, Que c'est triste Venise, La Bohème, Emmenez-moi, Désormais. Des succès d'hier et d'aujourd'hui car leurs mots sont universels, c'est ceux de l'amour et de la nostalgie d'aimer. La mode yé-yé l'inspire aussi, il compose Retiens la nuit pour Johnny Hallyday et La plus belle pour aller danser pour Sylvie Vartan.
Et des chansons engagées
Charles Aznavour n'est pas qu'un romantique. En 1965, une de ses chansons, Après l'amour, est censurée à la radio car jugée trop osée : "Glisse tes doigts par ma chemise entrouverte, (…), après l'amour, quand nos corps se détendent, quand nos souffles sont courts, nous restons étendus, toi et moi, presque nus".
En 1972, il interprète Comme ils disent, la première chanson française qui traite avec sensibilité et sans moquerie du thème de l'homosexualité. Son entourage s'était opposé à cette chanson, craignant que son image en sorte dégradée. C'est encore une fois un succès.
Charles Aznavour dénonce aussi le génocide arménien dans Ils sont tombés ou encore la nomenklatura soviétique dans Camarade.
"L'Arménie dans le cœur et le sang"
Si lors de ses tournées à l'étranger, il a été un ambassadeur de la chanson française, Charles Aznavour avait "l'Arménie et les Arméniens dans le cœur et dans le sang". Et pourtant, l'amour de ses origines n'est pas allé de soi. En 2007, sur RFI, il raconte ne pas avoir aimé sa première venue en Arménie : "C’était en 1963 ou 64 et je n’ai rien ressenti. Il y avait à peu près 250 personnes qui étaient venues à l’aéroport, qui me disaient : 'ah ! tu es revenu dans ton pays !!'. Mais non, je répondais, mon pays, c’est la France ! Ils étaient terriblement vexés".
Mais en 1988, lors d'un terrible tremblement de terre en Arménie, Charles Aznavour est bouleversé. Il fonde une association "Aznavour pour l'Arménie" qui récolte des fonds pour envoyer des vêtements et de la nourriture aux victimes. En 2011, il donne un dernier concert au profit de cette cause.
C'est en 2008 que Charles Aznavour renoue concrètement avec la terre de ses ancêtres : le président arménien lui confère la nationalité arménienne. Déjà en 2001, une place d'Erevan, la capitale de l'Arménie, avait été rebaptisée du nom de l'artiste. Aznavour se fait alors diplomate au service de sa nouvelle patrie : ambassadeur en Suisse, représentant auprès de l'ONU et de l'Unesco. Dans une de ses autobiographies, il confie y voir plus qu'une occupation : "Pourquoi suis-je devenu ce que je suis, j’ai la conviction qu’il fallait une voix pour rappeler que le peuple arménien existait encore".
Infatigable
Malgré l'âge, Charles Aznavour n'a jamais renoncé à chanter et à sortir des albums, tout en assumant les contraintes liées à son âge. Invité d'Europe 1, en 2013, il disait vouloir ne rien cacher en annonçant à ses fans utiliser un prompteur lors de ses concerts. Et pour lui, approcher de son centenaire ne voulait pas dire rester inactif : "Quand on aime la vie, on aime faire des choses. Il faut inventer son futur et dire : tout commence demain".
Ces dernières semaines, l'infatigable Charles Aznavour avait toutefois dû annuler quelques concerts. D'abord en avril à Saint-Pétersbourg, victime d'un tour de reins. Puis en mai, en raison d'une fracture de l'humérus gauche, après une chute. Une accumulation de pépins physiques qui le ramenaient subitement à sa condition de mortel. Après quelques concerts à l'étranger en septembre et octobre, il devait être en tournée dans toute la France en novembre et décembre. "Je n'ai pas peur des mots, je n'ai pas peur des phrases, pourvu que ça ne soit pas vulgaire", confiait-il il y a encore quelques jours sur Europe 1.