Rien, absolument rien ne laisse deviner ce que Michel de Robert a vécu. Ni la douceur de son regard ni son élégance naturelle... Car comment imaginer l'inimaginable ? Comment déceler ce que ses proches eux-mêmes n'ont pas su voir pendant 40 ans ? Père de famille et architecte, Michel de Robert a su brouiller les pistes. Il s'est tu par nécessité, a caché son enfance. Qui aurait bien pu le comprendre ? Qui aurait pu y croire ? Michel a été un enfant sauvage. Lui et son grand frère Patrice ont grandi dans les bois. Sept longues années à survivre en forêt. Sept longues années à vaincre le froid et la faim.
Deux frères inséparables abîmés par la vie
Nés juste après la Seconde Guerre Mondiale, Michel et Patrice ont été abandonnés par leur mère, puis ont fui leur foyer après un drame. Seuls dans la nature, livrés à eux-mêmes, les deux petits garçons, alors âgés de 4 et 5 ans, ont survécu dans la forêt mais ont surtout tissé des liens indéfectibles. Leur incroyable histoire est pour la première fois racontée au cinéma dans le film Frères de Olivier Casas, en salles ce mercredi 24 avril. Ami avec Michel depuis plusieurs années, le réalisateur a appris son histoire sur le tard, par tout hasard. "On passait un week-end chez un ami commun. Michel était pour moi l'architecte de la bande, celui qui était toujours très classe. Et là, je l'ai vu s'asseoir au bord de la piscine, attraper un bout de bois et un couteau, puis commencer à tailler comme Rocky. Je me suis approché de lui et je lui ai dit : 'Michel, il y a quelque chose que tu ne m'as pas raconté'". Quand Olivier Casas écoute son témoignage, c'est la stupéfaction, le choc. "Je suis sidéré", se souvient-il.
Les retrouvailles de Mathieu Kassovitz et Yvan Attal
L'idée d'en faire un film sonne alors comme une évidence. Pour raconter ces sept ans de survie mais aussi l'après, la réinsertion dans le monde civilisé, le manque de repères, le poids du secret... Et qui de mieux que Mathieu Kassovitz et Yvan Attal, amis depuis une trentaine d'années, pour incarner ces deux frères inséparables, abîmés par la vie ? "On se connaît super bien avec Yvan, on sait jouer simple, comme deux potes", nous confie Mathieu Kassovitz, l'interprète de Patrice. Yvan Attal et lui venaient à peine de terminer le tournage du film Les Choses humaines quand il se sont retrouvés sur ce tournage. "C'est comme si on s'était quittés la veille, il y avait une vraie simplicité dans nos échanges", souligne Yvan Attal, qui prête ses traits à Michel, également narrateur de l'histoire.
"Je vois vivre mon frère à travers Mathieu"
Ses commentaires aident à mieux comprendre la psychologie des deux hommes, et surtout celle de Patrice, qui n'a jamais réussi à se sentir heureux après avoir vécu dans des conditions extrêmes. Contrairement à ce qu'on pourrait imaginer, c'est le retour à la civilisation qui l'a brisé. "C'est comme certains soldats qui vivent des moments terribles et qui, quand ils en sortent, se rendent compte du manque de ne plus être dans cette urgence et dans cette adversité qui les obligent à survivre. A partir du moment où tu n'as plus ça, tu perds goût à la vie", analyse Mathieu Kassovitz. Michel, lui, a eu moins de mal à s'adapter et mener une vie normale. "Il a réussi à fonder une famille, ce que Patrice n'a pas pu faire. C'est la grande différence entre eux", souligne Yvan Attal.
La détresse de Patrice devenu adulte nous prend aux tripes pendant tout le film grâce au formidable jeu d'acteur de Mathieu Kassovitz, qui ne parle guère mais dont le regard exprime tant. "J'arrive à voir vivre mon frère à travers Mathieu, c'est exceptionnel", nous confie avec émotion Michel de Robert, qui a perdu son frère en 1993 (ndlr : Patrice s'est suicidé à l'âge de 48 ans). L'architecte a également été bluffé par l'interprétation d'Yvan Attal, qui joue son rôle. Les deux acteurs ont redoublé d'efforts parce qu'il se sont sentis "investis d'une mission" vis à vis de Michel et de son grand frère Patrice. Le résultat est à la hauteur de tout ce qu'ont vécu ces deux frères. Beau, saisissant, émouvant.