Rappeurs et artistes féminines partent cette année favoris dans la course aux Grammy Awards, décernés dimanche à Los Angeles par une industrie musicale souvent critiquée pour ne pas suffisamment mettre à l'honneur sa diversité.
Le rap et les femmes bien représentés chez les nominés. Pour la deuxième fois de suite, le hip-hop caracole en tête des nominations, avec huit sélections pour la star Kendrick Lamar, suivi de peu par son challenger canadien Drake. Dans la catégorie "révélation de l'année", six candidats sur huit sont des femmes. Oubliées l'an dernier, elles sont aussi présentes en force dans les catégories majeures des Grammys, entre Cardi B la rappeuse gouailleuse, Janelle Monae l'exploratrice électro-pop et la chanteuse folk-rock Brandi Carlile.
Favoriser la diversité. Pour répondre à ceux qui lui reprochent de récompenser trop d'artistes blancs et masculins, la Recording Academy, qui regroupe plus de 13.000 professionnels, a créé l'an dernier une "task force" pour la diversité et l'intégration. Et elle a fait passer de cinq à huit le nombre de nominés dans les principales catégories pour mieux refléter la diversité de la société. Reste à savoir si les nominations se transformeront en vraies récompenses, car Jay-Z était reparti bredouille l'an dernier malgré huit nominations. Il n'avait pas du tout apprécié et l'avait fait savoir à la Recording Academy dans les paroles de son tube "APESHIT", enregistré avec son épouse Beyoncé.
La malédiction des rappeurs. Kendrick Lamar, premier rappeur à avoir obtenu un prix Pulitzer de musique pour son album "DAMN", a de son côté déjà échoué à trois reprises dans la course à "l'album de l'année". Il parviendra peut-être cette fois à conjurer la malédiction avec la bande originale du film "Black Panther". Son titre avec la chanteuse soul SZA, "All the Stars", est aussi en lice dans la catégorie de "l'enregistrement de l'année" (qui récompense l'artiste et toute l'équipe technique), et celle de la "chanson de l'année" (qui récompense les auteurs). Drake, en froid avec les organisateurs ces dernières années, a reçu sept nominations au total, dont une pour son album "Scorpion" et une autre pour son titre "God's Plan", qui a fait le tour du web.
" Ce n'est pas tant que les Noirs soient invisibles ou qu'ils n'innovent pas, c'est qu'ils sont cantonnés dans des catégories 'raciales'. "
"Que les vainqueurs reflètent ce qui bouge". Même si les œuvres de rap ont statistiquement des chances d'être primées lors de cette 61e édition, beaucoup d'experts demandent encore à voir. "Ce n'est pas tant que les Noirs soient invisibles ou qu'ils n'innovent pas, c'est qu'ils sont cantonnés dans des catégories 'raciales'", affirme Guthrie Ramsey, musicologue à l'Université de Pennsylvanie. D'autres remarquent que ce qui fait l'attrait du rap, c'est précisément son côté rebelle et marginal. "Etre récompensé, c'est aussi recevoir l'approbation de la culture dominante", relève Akil Houston, spécialiste du hip-hop à l'Université d'Ohio. Pour Murray Forman, chercheur à la Northeastern University de Boston, l'explication est peut-être tout simplement démographique : la Recording Academy est majoritairement composée "d'hommes blancs pas tout jeunes qui ne se soucient pas trop du hip-hop". "S'ils veulent continuer à être crédibles, ils vont devoir faire mieux pour que les nominations et les vainqueurs reflètent vraiment ce qui bouge, ce qui fait réfléchir et danser le public", assure-t-il.
Les femmes à l'honneur. En mai dernier, le patron des Grammys, Neil Portnow, avait déclenché un tollé en appelant les femmes à "passer à la vitesse supérieure" si elles voulaient être mieux représentées. Cette année, cinq des huit nominés pour "l'album de l'année" sont des femmes : Cardi B, Brandi Carlile, Janelle Monae, la prodige du R&B H.E.R. et la chanteuse country Kacey Musgraves. La popstar Lady Gaga est quant à elle sélectionnée dans cinq catégories, dont deux pour "Shallow", la ballade romantique enregistrée avec Bradley Cooper pour le film A Star Is Born, dans lequelle tient également l'un des rôles principaux.
Brandi Carlile a appelé les artistes féminines à se serrer les coudes. "On peut rejeter la faute sur les hommes, sur l'industrie (musicale), sur le système marchand, mais ça doit d'abord venir de nous", a lancé la troubadour folk dans une interview au magazine Variety. "Lorsque l'une d'entre nous gravit quelques échelons, elle doit aller chercher celles qui sont en-dessous pour les tirer vers le haut", a-t-elle affirmé.