Guy Savoy : "Les récompenses, c’est toujours tellement bon à prendre"

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Aurélie Dupuy
Pour la troisième année consécutive, Guy Savoy, le restaurant éponyme du chef triplement étoilé, vient d'être désigné comme le meilleur restaurant du monde. Le cuisinier s'est confié à Europe 1.
INTERVIEW

Il porte la couronne pour la troisième année consécutive. Le restaurant éponyme du chef triplement étoilé Guy Savoy vient d'être sacré pour la troisième année de suite meilleur restaurant du monde par La Liste.

Ce classement des 1.000 meilleures tables mondiales est issu de la compilation de centaines de guides et de millions d’avis en ligne. Initié par le Quai d'Orsay en 2015, il vient contrebalancer le "World's 50 Best Restaurants" pointé du doigt pour sous-représenter la France. Avec une note quasi parfaite de 99,75/100, le chef doit partager sa couronne avec Le Bernardin, fameux restaurant de poisson new-yorkais. Mais cette égalité n'est pas de nature à émousser la bonne humeur du chef, qui a donné rendez-vous à Frédéric Taddéï pour une balade dans Paris.

Passer un cap pour apprécier. C'est d'abord la porte d'un ami que le chef pousse dans la capitale : il va chez le chocolatier-sculpteur Patrick Roger, dans sa boutique de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Dans la vitrine, ce jour-là, deux ours géants attirent l’œil. A l'intérieur, Guy Savoy se déclare fou de chocolat : "Je suis addict' total. J’en ai au restaurant. Mais on arrive ici, on est sur une autre planète."

Le chocolat a même été le point de départ de sa formation : "Mon premier apprentissage, c’était chez un pâtissier-chocolatier à Bourgoin-Jallieu", ville d'Isère d'où le cuisiner est originaire. "A l‘époque, je ne me rendais pas compte de la chance que j'avais. Je me suis aperçu que c‘est un peu comme la truffe, il faut avoir un goût qui a évolué et qui s‘est transformé pour aller vers ces goûts très marqués. Il faut passer un certain cap pour apprécier le chocolat."

MARCHE

Le chef au marché Poncelet, dont il loue l'ambiance.

De Rungis aux petits marchés. Question cap, le chef se dirige ensuite vers le marché Poncelet-Bayen, dans le 17e arrondissement. " Sous ses yeux, "pommes, champignons, trompettes, chanterelles, encore des beaux cèpes, des litchis de la Réunion". Autrefois, il allait à Rungis tous les matins. Désormais, il fait davantage les petits marchés, pour l'ambiance et parce qu'il les considère comme une merveille française : "On a les plus beaux produits et la plus belle diversité." Y aller lui-même lui donne un avantage : "Ça me permet de bien sentir tous les produits d’actualité."

La cuisine a l’art de transformer instantanément en joie des produits chargés d’histoire

Il apprécie d'ailleurs son métier pour être "en prise directe avec les choses de la terre et de la mer. Tout ce qui s’élève, pousse, se cultive, se pêche, se cueille, arrive chez nous. Les produits, ça me dynamise. La vie d’un beau produit vous donne l’envie de le cuisiner."

Il aime aussi voir la montée de l'ambiance dans sa salle de restaurant : "20h30, c’est calme. 21h30, ça devient sonore et 22h30, on sent le plaisir des convives. On sent que la salle s’anime, qu’elle prend sa belle vitesse. Je dis toujours qu’on a la chance de voir deux transformations : on dit que la cuisine a l’art de transformer instantanément en joie des produits chargés d’histoire, et on voit aussi la transformation du visage des convives et c’est un réel plaisir pour un cuisinier."

ETALS

Etals du marché Poncelet.

Bernard Loiseau. Il ne boude d'ailleurs pas son plaisir d'être distingué par la liste. Il ne se montre cependant pas dupe : "Les équipes autour de moi travaillent beaucoup, je travaille beaucoup. Les récompenses, c’est toujours tellement bon à prendre." Comme les étoiles, obtenues de longue haleine : la première en 1981, la deuxième en 1987 et la troisième, en 2002.

Peu de temps après avoir décroché ce Graal, son ami le chef Bernard Loiseau se suicide. Ce qui vaut alors à Guy Savoy une phrase étrange : "Ils ne m’auront pas". Il s'en explique aujourd'hui : "Il s’est dit beaucoup de bêtises autour de cette disparition. Certains ont avancé le travail, la pression des guides. Je pense que c’est malheureusement une maladie qui s’appelle la dépression. Sous le coup de l’émotion, j’avais dit ça. Je pensais que c’était tout ce qu’on met en avant sur nos métiers, le temps de travail, la pression des convives. Ils viennent chez nous passer un moment d’exception et on a n’a pas le droit de traiter tout ça à la légère." Il estime toujours avoir deux défis par jour : le déjeuner et le dîner.

Il s’est dit beaucoup de bêtises autour de cette disparition. Certains ont avancé le travail, la pression des guides. Je pense que c’est malheureusement une maladie qui s’appelle la dépression

Art africain. En taxi, le duo se dirige ensuite vers la galerie Argiles, 16, rue de Guénégaud, dans le 6e, découverte il y a trente ans au gré d'une balade. Le chef y achète des objets africains. "Avec un budget pas trop élevé, on pouvait déjà avoir des choses intéressantes. Au fil du temps, ça a fait une collection." Il voue une passion pour les tabourets qu'il utilise comme table basse."

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La galerie Argiles, fréquentée par le chef depuis une trentaine d'années.

L'art a d'ailleurs toujours sa place dans ses restaurants, comme dans son établissement Les bouquinistes au 53, quai des grands augustins. Ici, les murs sont peints par Fabrice Hyber. Sur plusieurs panneaux, il a associé "tous les mots de la cuisine un peu érotiques : Cocotte, cuisse, ustensile, bijou, cuir...". L’influence vient de partout, confirme le chef : "du quotidien, de la balade, des objets, des œuvres. On est inspiré par tout son environnement. Il faut pas trop se poser la question. Il faut que ça tombe juste tout de suite."

BOUQUI

La salle des Bouquinistes, avec les panneaux de mots et la bibliothèque de vin.

Il délaisse le poivron cru. Il est ensuite l'heure de retrouver le cœur de son travail : le restaurant Guy Savoy, 11 quai Conti dans l'Hôtel de la Monnaie de Paris. Ici, côté art, des œuvres de la collection de François Pinault trônent. Des fenêtres, on voit la Seine, le Vert-Galant, la nouvelle Samaritaine, le Louvre. Dans les cuisines, la brigade d'une quarantaine de personnes d'une quinzaine de nationalités différentes s'active. Des carottes sont dressées en chartreuse d'un côté. De l'autre, le chef montre aussi "le coin des poissons, le coin des viandes."

CUISINE

Dans les cuisines du restaurant Guy Savoy, où la brigade mêle les nationalités.

Tous les produits ont leur place. Il avoue personnellement ne pas aimer le poivron cru mais il a en revanche bien du mal à désigner son plat préféré. "Me limiter à un n’est pas dans ma nature. Ça dépend de la saison, de la situation, de l'occasion, des personnes. Ça peut être une fondue en fromage dans un chalet de montagne parce que le fromage est exceptionnel, parce que les amis sont autour de la table. Comme ça peut être un magnifique homard sur le bord des Abers avec quelques huîtres avant."