Qu'est-ce qui vous a convaincu de jouer dans ce téléfilm sur un sujet aussi difficile que celui de la pédophilie ?
C'est un sujet très difficile. J'ai pris conscience de l'importance de ce fléau à la lecture du scénario, puis pendant le tournage quand on a échangé avec Sébastien, qui a vécu cette atrocité. Au-delà du thème, le rôle de Farah est très joli. Elle est l'amour de jeunesse de Sébastien, et je trouve qu'il y a quelque chose de beau et de romantique dans leurs retrouvailles un peu tardives.
Son rôle est aussi très important car c'est grâce à elle que Sébastien finit par parler. Diriez-vous que la libération de la parole passe nécessairement par les femmes ?
C'est un de nos pouvoirs. C'est vrai que nous sommes plus proches de nos émotions et que nous avons plus facilement tendance à nous épancher, à faire part de ce qu'on veut, de ce qu'on ressent. C'est quelque chose de très bénéfique pour la bonne route du monde. Finalement, parler, c'est accepter sa part de féminité. Ça ne veut pas dire qu'on est moins masculin, moins viril, moins mâle alpha. Personnellement je trouve ça très beau. Et c'est ce que fait Sébastien quand il dit : "Moi aussi ça m'est arrivé". C'est un énorme pas pour lui parce que c'est quelque chose qui ne se fait pas et qui se fait certainement encore moins dans son monde de rugbymen.
La pédophilie reste aujourd'hui encore un sujet très tabou. Pourtant, un enfant sur cinq est toujours victime de violences sexuelles.
Oui, les chiffres sont absolument glaçants. Sur le tournage, Sébastien nous a raconté qu'il y avait systématiquement des gens qui venaient le voir pour lui dire "ça m'est arrivé" ou "ça m'arrive", quand il faisait de la sensibilisation avec son association dans des écoles et des centres sportifs (ndlr : après la condamnation de son violeur, Sébastien Boueilh a créé l'association Colosse aux pieds d'argile pour accompagner les victimes et leurs proches). Ça veut dire qu'il y a des victimes partout. C'est complètement hallucinant.
Comment expliquer cet omerta ?
Parce que ça se passe dans des familles et dans des milieux sportifs. Il y a quelque chose de très intime, comme quand l'entraîneur prend la même chambre d'hôtel que son poulain. Ce sont des jeunes enfants et on connaît très bien le discours qui va avec : "Si tu le dis, j'irais en prison", "personne ne te croira". C'est très difficile pour ces enfants de parler parce qu'il y a un sentiment de honte et aussi la peur de ne pas être cru.
Avez-vous ressenti un certaine pression sur le tournage vis-à-vis de Sébastien ?
Mon rôle est quand même éloigné du drame que Sébastien a vécu. Je suis la respiration du film. Mais j'ai tout de même ressenti la responsabilité d'être à la hauteur de cette histoire et de faire en sorte qu'elle soit la plus touchante, la plus humaine et la plus émouvante possible. C'est pour ça qu'il fallait que mon personnage soit lumineux. Farah apporte une touche solaire par rapport à tout ce qui se passe.
Vous avez très bien retranscrit à l'écran sa complicité avec Sébastien, incarné par Eric Cantona. Comment s'est passée votre collaboration avec lui ?
Ça s'est très bien passé avec Eric. C'est un très bon partenaire, très gentil. Et j'ai essayé que nos interactions soient les plus naturelles possible dans nos scènes.
On sent aussi que Farah est justement prête à tout pour Sébastien. Elle veut se lancer dans une histoire d'amour avec lui, quand bien même il lutte toujours contre ses démons. Êtes-vous comme elle ?
J'ai pu l'être mais aujourd'hui, je me méfie car il y a eu un peu trop de déception et de douleur. Je suis prête à beaucoup car une histoire d'amour, c'est aussi être là pour l'autre et faire des compromis. Mais je ne suis pas prête à tout. Il faut savoir se protéger, se respecter et s'écouter. Et je pense qu'on aime mieux si on se respecte et si on s'écoute.
Vous êtes maman d'une jeune femme, Angelica, qui a aujourd'hui 21 ans. Comment l'avez-vous sensibilisée au sujet des violences sexuelles ?
Comme beaucoup de mamans, j'ai abordé le sujet avec elle. Je suis aussi très reconnaissante au mouvement #MeToo parce qu'il a permis à nos filles, quel que soit leur milieu social, d'apprendre à dire non. C'est quelque chose qui est presque complètement acquis pour la jeune génération. L'homme n'a pas à abuser de son pouvoir et à forcer une femme de quelque façon que ce soit. Après, il ne faut évidemment pas rentrer dans les excès. Par exemple, j'aime la galanterie. Mais l'un n'empêche pas l'autre…
Qu'est-ce que le mouvement #MeToo a changé pour vous et votre génération de femmes ?
Je ne me suis pas forcément sentie très concernée car n'est pas comme si j'avais 20 ans ! Je ne suis plus une jeune fille donc je suis moins une proie. Mais #MeToo m'a quand même permis de faire une mise à jour. Ça a été comme un "reset" : je me suis rendue compte qu'il y avait plein de choses que j'avais considérées comme normales et qui ne l'étaient pas. Il y a eu des petits dérapages, mais rien de très grave. A l'époque, on considérait que ça faisait partie du chemin.
Vous vous êtes déjà mobilisée contre les féminicides. C'était en 2019, devant l'Hôtel de Ville de Paris. Vous êtes aujourd'hui à l'affiche d'un téléfilm sur la pédocriminalité. Peut-on dire de vous que vous êtes une actrice engagée ?
Non, je ne me considère pas du tout comme une actrice engagée. Je suis une citoyenne engagée. Mais je ne le suis pas non plus de manière excessive. Je me positionne surtout en femme indépendante qui sait dire non et qui ne se laisse pas faire quand il y a besoin.