C'est un téléfilm d'utilité publique que TF1 diffuse ce lundi soir à 21h. Dans Les Yeux Grands Fermés, Guillaume Labbé, vu dans les séries Plan cœur et Je te promets, change de registre en jouant le rôle de Stéphane, un père qui abuse sexuellement de son fils Adrien, 6 ans. Sa mère Anne-Marie, brillamment interprétée par Muriel Robin, se retrouve alors face à un dilemme : fermer les yeux et défendre son fils Stéphane, ou croire et protéger son petit-fils Adrien. Avant la diffusion des Yeux Grand Fermés, Europe 1 s'est entretenue avec Guillaume Labbé, qui confie avoir été changé par ce projet sur la douloureuse thématique de l'inceste. Interview.
Avez-vous tout de suite accepté de jouer le rôle de Stéphane, un père incestueux ?
Non, j'ai vraiment hésité. J'ai lu une quinzaine de pages du scénario et je me suis dit : "Ça a l'air super, c'est très bien écrit mais je n'ai pas envie de le faire, je n'y arriverais pas". J'avais peur parce que je pensais que j'allais devoir aller chercher des choses en moi qui allaient me foutre en l'air psychologiquement. Finalement, j'ai relu le scénario et j'ai accepté. D'abord parce que c'était un gros challenge personnel pour moi, mais aussi parce que l'intention de l'autrice m'a convaincu. J'avais également très envie de jouer avec Muriel Robin et je me suis dit que le projet serait forcément fin et pudique si elle y participait.
Comment avez-vous fait pour vous glisser dans sa peau ?
J'ai beaucoup parlé avec l'autrice, qui connaît très bien le sujet, pour comprendre la psychologie de Stéphane. Je lui ai posé plusieurs questions : est-ce qu'il prend plaisir à manipuler ? Est-ce qu'il est dans déni total ? Ou dans une forme de psychose ? Est-ce qu'il y a un dédoublement de sa personnalité ? Est-il mythomane ?. Ensuite, j'ai lu plusieurs études psychologiques sur les pères qui ont commis de l'inceste. J'ai choisi un de ces profils pour être cohérent.
Quel est son profil psychologique ?
Je n'ai pas voulu jouer un pervers narcissique ou un père qui considère son fils comme un objet. Stéphane a lui-même été abusé sexuellement par son père pendant son enfance. Mais il n'a jamais été reconnu comme une victime. La réalité d'un enfant est celle dans laquelle il grandit : si son père agit comme ça mais que l'entourage et la société ferment les yeux, l'enfant pensera que c'est possible. Et c'est ce que Stéphane va faire avec son fils Adrien dans un moment de fragilité, après avoir perdu sa femme. Il aime son enfant et il ment parce qu'il sait que la société ne comprendra jamais ce qu'il fait même s'il est persuadé que ce n'est pas mal. Sa vision du bien et du mal est totalement erronée. Et il y a surtout un déni : il n'arrive pas à accepter qu'il est le bourreau de son fils, mais aussi que son propre père ne l'a pas aimé comme il fallait et qu'il a lui-même été victime. C'est vertigineux.
Avez-vous de l'empathie pour Stéphane ?
C'est compliqué pour moi de dire que j'aime Stéphane et que je le comprends… mais c'est la vérité. Pour moi, Stéphane est un enfant qui n'a juste pas grandi. Il est resté bloqué à une étape psychologique à cause de son père, qui l'a violenté, et de sa mère, qui n'a pas su le protéger. J'ai de la peine pour lui parce qu'il a tout détruit. Je le comprends mais je ne le pardonne pas car il est responsable.
Dans le film, on sent une véritable connexion entre vous et Muriel Robin, qui joue la mère de Stéphane. Comment s'est passée votre collaboration ?
On ne se connaissait pas avec Muriel Robin et pourtant, tout s'est fait très naturellement. Le jour de notre première rencontre, on s'est pris dans les bras pendant deux minutes sans se parler. Ce truc-là nous a suivis pendant tout le tournage. Avec Muriel, on pouvait rester une demi-heure sans se dire un mot et ne pas être gênés. Puis, on pouvait se parler de choses profondes ou légères pendant une demi-heure non-stop.
Le petit garçon qui joue le rôle d'Adrien, le fils de Stéphane, était-il au courant du thème du film ?
Oui, sa mère lui a tout dit et lui a expliqué ce qu'est l'inceste. Moi, je n'en ai jamais parlé avec lui. On était vraiment que dans un rapport de travail. Son jeu était dirigé sur des actions concrètes : le réalisateur ne lui disait pas "tu ne vas pas voir ton père parce qu'il t'a fait ça hier soir" mais plutôt "tu ne vas pas voir ton père et tu le fais avec tristesse, ou avec colère".
Ce téléfilm marque-t-il un tournant dans votre carrière ? Car on vous a connu dans des rôles plus légers, comme dans Plan Cœur…
Ça marquera peut-être un tournant pour les producteurs et les réalisateurs qui m'imagineront dans des rôles plus dramatiques. Pour moi, en tant que comédien, il n'y a pas de tournant car je travaille toujours de la même manière, avec les mêmes intentions.
Et personnellement, ce rôle vous a-t-il changé ?
Ce rôle m'a ouvert les yeux sur l'inceste. Comme tout le monde, je savais que ça existait mais je n'avais pas conscience de l'ampleur de ce fléau. En faisant des recherches et en voyant les chiffres, j'ai tout simplement halluciné. Et il y a quelque chose qui me choque : 99% des viols hors familles et 97% des viols intrafamiliaux sont commis par des hommes. Je suis un homme donc ça m'interroge… Je me demande si ces violences sexuelles sont biologiquement en nous ou si notre violence est exacerbée à cause de la société patriarcale, ou si c'est un mélange des deux. Dans tous les cas, on ne parviendra pas à éradiquer cette violence si on ne comprend pas d'où elle vient.
Vous avez récemment déclaré vouloir devenir père. Vous n'auriez pas peur d'éduquer un garçon, avec toutes ces problématiques ?
Non au contraire, ça serait plutôt un challenge. Car on peut changer la société en ayant conscience de tout ça et en éduquant nos enfants différemment.