Leur lien n'a certainement jamais été aussi indéfectible. Amies depuis des années, Laurie Darmon et Joyce Jonathan s'apprêtent une nouvelle fois à partager ensemble la scène des Folies Bergères aux côtés d'autres personnalités pour la troisième édition de la soirée feel good Corps à coeurs, imaginée par Laurie. Un moment important pour ces deux trentenaires qui ont, comme beaucoup de femmes, souffert de troubles alimentaires, et qui s'exprimeront librement sur leur rapport au corps, à travers une chanson, une danse ou même un simple texte. Fières de porter ensemble ce projet faisant écho à leur histoire, Laurie Darmon et Joyce Jonathan se sont longuement confiées à Europe1.fr. Confiance en soi, injonctions sociales, quête de la perfection, anorexie... Les deux chanteuses ont été d'une sincérité désarmante. Interview.
Laurie, comment vous est venue l'idée de ce spectacle ?
Laurie Darmon : Tout est parti de mon parcours personnel car j'ai souffert d'anorexie mentale de mes 17 à mes 27 ans. Après ma guérison, j'en ai parlé publiquement et dans une chanson. Beaucoup de personnes m'ont alors envoyé des messages en me disant que ça leur parlait et en me racontant leur parcours. Je me suis retrouvée avec une matière dont je ne savais pas forcément quoi faire... J'ai organisé des showcase et des conférences autour de ce sujet. C'était le début d'un certain Corps à coeurs parce qu'il y avait des choses hybrides, des lectures musicales, de l'interaction etc... J'ai dû arrêter tout ça pendant le Covid. J'ai réfléchi et je me suis dit que j'aimerais que plusieurs artistes interviennent et qu'on ne parle plus uniquement de l'anorexie mentale. Car quand on parle d'anorexie, on parle d'abord de confiance en soi et de rapport au corps.
Pourquoi avoir appelé ce show Corps à coeurs ?
Laurie Darmon : J'ai fait différents jeux de mots. Au début je pensais à "coeur ouvert" puis m'est venue cette idée de "corps à coeurs". C'était en octobre 2021, j'étais enfin lancée ! Ensuite, j'ai écrit aux artistes, en commençant par des amis avec qui j'avais déjà eu des conversations sur le rapport au corps et l'acceptation de soi. Je me suis dit qu'ils avaient des choses pertinentes à raconter. Je n'ai pas toujours eu des "oui" tout de suite.
Quels artistes étaient plus réticents ?
Laurie Darmon : Louane est une de mes meilleures amies mais j'ai pourtant mis du temps pour la convaincre. Je lui ai bien dit que ma démarche n'était pas celle d'une vraie production qui confronte les artistes à des exercices. Là, ce sont des artistes qui parlent à d'autres artistes de manière très libre. Et puis, ils ont tous vu que j'étais bienveillante et que je respectais leurs limites. Finalement, c'est eux qui en redemandaient !
Joyce, avez-vous hésité ?
Joyce Jonathan : J'ai tout de suite été convaincue par la proposition de Laurie. En revanche, ça a été plus compliqué pour le livre (ndlr : Laurie Darmon a sorti le 18 janvier le livre Corps à coeurs, qui restitue ses échanges avec les différents artistes participant au spectacle). J'ai toujours véhiculé les choses que je ressentais à travers ma musique et mes composition. Là, tout d'un coup, je livrais quelque chose à Laurie. Quand j'ai vu les témoignages écrits, ça m'a fait un peu froid dans le dos de me dire qu'il fallait que j'assume tout ça. Finalement, ça m'a mis un petit coup de boost pour me dire qu'il était temps que j'assume mon histoire.
Comme Laurie, avez-vous souffert de troubles alimentaires ?
Joyce Jonathan : J'ai eu des troubles alimentaires pendant huit ans. J'étais en plein dedans quand j'ai participé à Danse avec les stars en 2014. Je l'ai très mal vécu parce je n'assumais pas du tout le fait d'être malade. Il fallait que je fasse huit heures de répétitions de danse tous les jours et j'arrivais à jeun le matin. Je m'autorisais deux compotes et je vérifiais 50 fois qu'il n'y avait pas de sucre. Au final, je n'étais pas assez en forme pour faire cette compétition. Je m'en suis voulue après parce que c'est une expérience unique qu'on ne vit pas 1.000 fois dans sa vie.
Quelle était la cause de cette anorexie ?
Joyce Jonathan : J'ai commencé à faire un métier d'image quand j'avais 20 ans. Au tout début, très naturellement, j'avais moins de formes. La télé m'embellissait. Franchement, les premiers temps, je me disais : "Waow, je suis pas mal !". Ensuite, j'ai fait ma première tournée et j'ai pris du poids parce que je mangeais des bêtises dans ma loge. J'ai vécu une rupture amoureuse au même moment et je pensais que c'était à cause de ma prise poids. J'ai donc entamé le régime Dukan pour maigrir, mais ça m'a totalement déréglée ! Dukan était devenu mon maître spirituel. C'était obsessionnel, je faisais des listes de ce que je mangeais, je comptais les calories. Aujourd'hui, j'ai compris qu'il n'y a rien de tel que d'écouter son corps. On ne grossit pas quand on mange parce qu'on a faim.
Joyce, avez-vous guéri après Danse avec les stars ?
Joyce Jonathan : Pas vraiment... Je me suis mise à faire énormément de sport et suis devenue très mince. Car je ne mangeais pas comme quelqu'un qui fait beaucoup de sport. Je m'en rends compte parce que j'ai atteint une forme de guérison. L'alimentation ne hante plus mon esprit. Ce midi, j'étais en répétitions pour les Enfoirés. et il y avait des sandwichs à manger. Dans une autre vie, je n'aurais jamais pu manger un sandwich. Ce midi, j'ai mangé le sandwich comme tout le monde. Je n'étais pas là à me dire : "Oh mon dieu, qu'est-ce qu'il y a dans ce sandwich ?". Ce qui aurait été le cas il y a encore quatre ans. Je pouvais très facilement me dégoûter. Aujourd'hui, je n'aurai plus jamais cette notion de dégoût même si je mange un peu plus à Noël ou lors d'un repas sympa entre amis.
Laurie et Joyce, comment êtes-vous sorties de votre anorexie ?
Joyce Jonathan : Ça a été très progressif. Je pensais que je commençais à guérir alors que j'avais encore du chemin à faire. Puis je retombais encore dans mes vieux travers. Le plus dur, c'est de changer ses habitudes car je m'étais créé des nouvelles normes. Je m'en suis sortie grâce à la maternité. Devenir maman a complètement changé ma vision des choses car je suis devenue responsable de quelqu'un. Et ça m'a surtout permis, entre guillemets, de tuer la mère. La maman, c'était désormais moi. Avant mon accouchement, je n'arrivais pas trop à trouver ma place entre l'enfant, la jeune adulte et la femme. Quelque chose clochait. Aussi, il y a une vraie dualité dans les troubles alimentaires. On est à la fois notre ami et notre pire ennemi. Je n'avais aucune envie d'être ma pire ennemie, je voulais me concentrer sur ma fille.
Laurie Darmon : Dans mon cas, il a fallu que je comprenne que l'anorexie n'était que la manifestation concrète de mon mal-être. Et ce mal-être n'avait aucun rapport avec l'alimentation. J'ai eu un suivi psychanalytique. J'étais étudiante en droit quand j'ai commencé cette thérapie, je suis ressortie jeune autrice compositrice interprète. Il y avait quelque chose que je n'osais pas assumer. Affirmer mon désir d'expression m'a aidé à moins ressentir les contours de mon corps. Je pouvais prendre de la place parce que je me sentais plus à ma place. Il y a un vrai rapport entre la place que l'on occupe physiquement et la place que l'on déclare au monde.
Joyce, avez-vous subi des injonctions autour du poids pendant et après votre grossesse ?
Joyce Jonathan : Je suis passée de mon poids simple à mon poids double plusieurs fois avant de tomber enceinte car j'ai eu des phases de boulimie. On m'a plusieurs fois félicitée pour ma grossesse alors que je n'attendais pas d'enfant... Et il se trouve que j'étais plus mince quand j'ai accouché qu'avant ma grossesse. En revanche, oui, j'ai subi énormément d'injonctions autour de mon poids. Mon entourage était beaucoup plus sensible au fait que je prenne du poids plutôt que j'en perde. Quand j'étais très mince, enfin quand j'étais maigre, ça ne dérangeait pas vraiment mes proches. Quand j'étais grosse, ça les dérangeait.
Ressent-on plus cette pression quand on est artiste ?
Laurie Darmon : C'est encore plus difficile d'avoir un rapport apaisé à son corps quand on est exposé. Car le public s'attend à voir le même physique dans la durée. On est donc maintenu dans une image qu'il faut respecter.
Et ce problème-là touche aussi les hommes, également présents dans votre spectacle...
Laurie Darmon : Quand j'ai proposé à des hommes de participer aux spectacles, certains m'ont répondu : "Mais c'est un spectacle pour les femmes !". Bien sûr que non ! Les hommes eux aussi ont un corps. Mais beaucoup n'ont pas conscience qu'ils respectent des codes pour incarner la virilité et la masculinité. Ils ont autant de choses à déconstruire que nous.