Jacques Higelin est mort. Le chanteur s’est éteint vendredi matin, à l'âge de 77 ans. Mais ne vous en faites pas trop pour lui : "La mort, ce n’est désagréable que pour ceux qui restent", racontait-il en 2010, dans une interview à Libération. "Mon cœur bat. Mon cœur bat. Et quand il tombera en panne. Surtout ne t'inquiète pas. Car le tien continuera de battre […] Bébé baby. La mort est le berceau de la vie", nous rassurait-il déjà en 1994, dans sa chanson Le Berceau de la vie.
Car si la mort planait souvent dans ses chansons, c’est qu’elle tenait chez Higelin un rôle bien particulier, un unique rôle : celui de nous rappeler qu’il faut vivre, "chanter la folie, la jouissance, l'amour de la vie, digne et jolie, jusqu'à c'que le cœur flanche". "Comment j’aimerais mourir ? Vivant", répondait-il même à une journaliste de Télérama, en 2015. Alors, comment la résumer, cette vie ? Europe1.fr fait une tentative à travers cinq mots, qui l’ont particulièrement marqués.
Musique
On l’oublie, mais Jacques Higelin fut d’abord acteur. Quelques cinéphiles à la mémoire particulièrement affûtée se souviendront de lui dans Le bonheur est pour demain, Bébert et l'Omnibus ou Une fille dans la montagne, aux abords des années 60. Mais lui-même le reconnaissait : son truc, c’était la musique.
Higelin plonge dans le grand bain musical à l’âge de 24 ans. Sa jeune carrière d’acteur lui ouvre quelques portes, et il se voit proposer l’enregistrement de sept chansons écrites par Boris Vian. Suivront plusieurs albums, plutôt tournés vers le rock, à l’instar de 12 chansons d'avant le déluge, Higelin et Areski ou Jacques Crabouif Higelin. Mais c’est avec l’album No Man’s Land, et son tube Pars, que sa carrière décolle. Higelin a alors 37 ans. Et la musique ne le quittera plus.
"La musique m’aide à ne pas désespérer. Elle m’a rassuré, a fait sortir mes monstres. Elle m’a sauvé de tout", confie-t-il en 2015 à l’Humanité. Sa carrière musicale durera plus de cinquante ans, au travers de 14 albums. Elle connaît quelques trous d’air, notamment dans les années 80, mais elle redécolle toujours. En 2010, il fête même ses 70 ans au Zénith de Paris, pour la tournée de son album Coup de foudre. Son dernier opus, Beau repaire, fut un succès autant critique que populaire.
Liberté
"Higelin, plus libre que jamais", titrait, en couverture, Télérama en septembre dernier. "Jacques est quelqu'un de très libre, dans tout : dans sa manière d'interpréter, d'écrire, de composer. Et même dans les thèmes qu'il aborde. C'est un marginal, un homme totalement hors code. Il incarne à mes yeux une vraie liberté", commentait, toujours dans Télérama, la comédienne Sandrine Bonnaire, qui a chanté pour lui, en mars 2013. Omniprésente dans ses textes, la liberté colle aussi à la peau d'Higelin. Pour le meilleur et pour le pire : comme en 1973, lors du tournage du film Elle court elle court la banlieue, qu’il quitte prématurément sur un coup de tête, ou encore lors de ce concert à Nice, dans les années 80, lorsqu’il laisse sa place sur scène, pendant quasiment tout le concert, à un pianiste qu’il venait de rencontrer.
Sa liberté, il la mettra aussi, et surtout, dans sa musique. Si on lui colle l’étiquette de rockeur, Higelin ne se limite pas à ça. Jazz, chanson française, rock expérimental… Higelin brasse bien au-delà du rock classique. "Les chansons, il les malmène, il les revisite à chaque fois, la chanson devient comme un véhicule, il s’installe, il part dans la chanson et là ça peut le mener où bon lui semble, ça dépend de son humeur", raconte Mahut, son fidèle percussionniste, dans un documentaire sur Arte en 2015.
Femmes
"Ma vie est remplie de rencontres. Je ne veux pas parler que de moi, ça ne m’intéresse pas", confiait le chanteur au Parisien, en 2015. Et dans ses "rencontres", on trouve - beaucoup - de femmes. On retiendra notamment l’actrice Irène Lhomme, son "premier grand amour", avec qui il entretient une correspondance publiée chez Grasset en 87 (Lettres d'amour d'un soldat de vingt ans). Mais aussi l'attachée de presse Nicole Courtois, son ex-compagne Kuelan Nguyen et l’actrice Aziza Zakine, qui lui donneront chacune un enfant. Autant de femmes qui lui inspireront ses plus belles chansons d’amour, et sa plus belle mélancolie, comme dans son duo d’anges : "Pourquoi les amants. Après s'être tant aimés avant. Oublient juste après. Tout le bien qu'ils se sont faits. […] Devant ton regard embué de larmes et tes lèvres closes, je dépose les armes."
Il y a aussi les femmes avec qui il a travaillé, et surtout chanté, comme Brigitte Fontaine ou Sandrine Bonnaire. C’est également avec une femme, la journaliste Valérie Lehoux, qu’il écrit ses mémoires (Je vis pas ma vie, je la rêve, éditions Fayard).
Famille
Mais la femme qu’il a peut-être le plus aimée, "l’amour de sa vie" comme il le chante dans Ce qui est dit doit être fait, c’est sans doute sa fille, Izia, qu’il a eue avec sa dernière compagne, Aziza Zakine. "Va ma reine, va là où tu veux. Mon amour jamais ne te quitt'ra des yeux. Va mon ange, ouvre le chemin. A l'étrange aventurière du destin", chante-t-il en 1991.
"Je les aime pour leur imaginaire, leur drôlerie, leur gentillesse et leur générosité. Mais je les aime aussi en tant qu’artistes", confie Higelin au Parisien en 2015, au sujet de ses trois enfants, Izia, Ken, acteur réalisateur, et Arthur (Arthur H), chanteur lui aussi. Très proche de son frère Paul toute sa vie, admiratif de son grand-père, Higelin compose également une chanson pour son père en 1988, Parc Montsouris, dans laquelle il chante "Mon cœur est déchiré, séparé du tien. J'me sens comme un routier. Entre loup et chien."
Politique
Higelin n’est pas à proprement parler un artiste engagé. Ses textes chantent davantage la vie et toutes ses composantes qu’ils n’expriment des idées politiques. Mais il a parfois donné de la voix lorsque la cause en valait la peine, comme en 2002, durant l’entre-deux-tours de la présidentielle, où il appelle à voter lors d’un concert. En avril 2009, avec d'autres artistes (Rodolphe Burger, D’de Kabal, Sandra Nkaké, Spleen) il participe également à un disque collectif, "Les Amoureux au ban public", portant le nom d'une association qui défend les droits des couples mixtes.
En 2014, il s’affiche aussi aux côtés d’Anne Hidalgo, pour la soutenir dans la course à la mairie de Paris, sans donner non plus davantage de détails sur son engagement. En mai 2017, enfin, il cosigne une tribune dans Le Monde, pour soutenir le mouvement "Dès demain", porté par la même Anne Hidalgo, Martine Aubry ou encore Christiane Taubira. Un texte qui appelait à "s’émanciper des vieux carcans" de la politique. Comme un dernier appel en faveur de la liberté, qu’il "incarnait" mieux que quiconque.