Il est des hommes si monstrueux qu'ils inspirent des personnages de fictions terribles. Au point que l'on a du mal à différencier fiction et réalité. C'est le cas du comte Dracula, le personnage central du livre de Bram Stoker. Dans le cadre d'un partenariat avec le magazine Lire, qui publie un hors série consacré aux monstres célèbres de la littérature, Stéphane Bern retrace sur Europe 1 l'histoire du personnage qui se cache derrière le plus connu des vampires.
Son histoire est simple et efficace. Jonathan Harker est un jeune clerc de notaire qui voyage jusqu'en Roumanie pour conclure avec le Comte Dracula une transaction immobilière. Il se retrouve prisonnier du château de cet homme terrifiant, au teint blanc, aux canines acérées et capable de se déplacer en rampant sur des murs à pic tel un lézard.
Dracula en profite pour venir jusqu'en Angleterre où Mina, la femme de son prisonnier, et Lucy, une amie, attendent le notaire. Dracula aspire le sang de Lucy et tente de s'emparer également de Mina. S'ensuit alors une course-poursuite d'un groupe formé autour de Jonathan, qui est parvenu à se libérer. Le roman se termine sur la mise à mort de Dracula in extremis par un coup de poignard dans le cœur.
Les sombres passions derrière la rigueur victorienne
Bram Stoker publie cette histoire terrifiante de vampire en 1897. Il n'est pas le premier écrivain à s'intéresser à ces morts-vivants suceurs de sang. Le 19ème siècle, notamment en Angleterre, est réputé pour son grand écart culturel : le conformisme victorien cohabite avec un certain romantisme, voire une passion secrète pour les sciences occultes.
Bram Stoker entretient lui-même un rapport intime avec cet univers sombre. Il est fasciné par la mort depuis ses 5 ans. C'est à cette époque qu'une violente épidémie de choléra terrasse de nombreux habitants du Nord de l'Irlande. Progressivement, il s'intéresse à l'ésotérisme et l'occultisme. Il ferait même partie d'une société secrète, la Golden Dawn, traduisez l'Aube Dorée.
Cette "école", fondée à la fin des années 1880, se spécialise dans l'enseignement de la magie et des sciences occultes du Moyen-Âge. On y pratique des rituels d'après des manuscrits, comme le Livre des morts des anciens Egyptiens.
Le romancier flirte avec les ténèbres. Dracula devient son sujet de prédilection. Il suffit de lire la présentation qu'il en fait dans son roman : "son nez aquilin lui donnait véritablement un profil d'aigle… La bouche, ou du moins ce que j'en voyais sous l'énorme moustache, avait une expression cruelle, et les dents, éclatantes de blancheur, étaient particulièrement pointues ; elles avançaient au-dessus des lèvres dont le rouge vif annonçait une vitalité extraordinaire chez un homme de cet âge."
Dracula, un sanguinaire fils de prince
Mais au-delà du fantastique, Bram Stoker s'est largement inspiré pour son Comte Dracula d'un personnage bien réel, qui a vécu en Roumanie il y a presque 600 ans.
Dracula est une partie du nom emprunté à un certain Vladislav III, ou Vlad Tepes, né en 1431, en Transylvanie. Son père est Vlad II dit Dracul, le Dragon ou le Diable, selon les traductions. Un nom qui n'a rien de diabolique, mais qu'il doit tout simplement au fait d'avoir été décoré de l'Ordre du Dragon par l'empereur Sigismond de Hongrie. Vlad II est prince de Valachie, une principauté qui résiste tant bien que mal aux assauts réguliers du puissant Empire Ottoman.
L'enfance et l'adolescence de Vlad III ne sont pas des plus réjouissantes. Quand son père n'est pas capturé par les ennemis, c'est lui qui est fait prisonnier pendant plusieurs années dans les geôles turques. Il a à peine 13 ans. En tant que fils de prince, ses conditions de détention sont plutôt confortables. Mais il gardera de cette réclusion un goût de revanche, de combat… et de sang.
Installé à la tête de la Valachie, Vlad III dit Dracula, le fils du Dragon, se transforme en souverain sanguinaire. Son autre surnom n’est autre que l'Empaleur. La raison est simple : il prendrait un malin plaisir à torturer le moindre opposant à son autorité. L'empalement ferait partie de ses châtiments favoris. Le principe, si tant est qu’il faille l'expliquer, consiste à introduire un pieu dans l'anus de la victime qui, par effet de levier, n'a d’autres solutions que de se laisser embrocher jusqu'à faire ressortir l’objet du crime par le thorax, les épaules ou la bouche.
L'empalement d'ennemis par forêt entière
Les empalés meurent alors dans d'atroces douleurs, soit d'hémorragie interne, soit de faim, de soif ou tout simplement dévorés par les vautours. Les bourreaux n'hésitent pas quant à eux à sélectionner un bâton arrondi pour que le supplice fasse moins de dégâts sur les organes internes et que la souffrance dure donc plus longtemps.
La pire anecdote sur ce Dracula bien réel s'appelle "la nuit de la terreur". On raconte que pour impressionner ses ennemis turcs, il exige l'empalement de 20.000 Ottomans. Une véritable forêt d'empalés.
Vlad III ne se contente pas d’une seule méthode de punition. Il serait par ailleurs friand de nombreux autres châtiments : ébouillanter, décapiter, pendre, brûler, frire, clouer, enterrer vivants. Certains ont même imaginé que pour punir les femmes infidèles, il aurait pu faire glisser en leur intérieur une souris affamée ou exiger qu'on frotte du sel et du vinaigre sur leurs parties en sang.
Une fausse réputation bien orchestrée ?
Mais comment démêler le vrai du faux sur Vlad III, considéré par les Roumains comme un héros national ? Les avis divergent sur la véracité de ces anecdotes macabres. Des historiens avancent même l'hypothèse que c’est le Prince Dracula en personne qui aurait sciemment alimenté sa propre légende pour terrifier ses adversaires. Avec plus ou moins de réussite. Après 12 années passées en prison en Hongrie, il revient brièvement à la tête de la Valachie avant d'être décapité à 45 ans. Sa tête est alors portée triomphalement par le sultan turc… au bout d’un pieu !
Le goût du sang, c'est donc ce qui lie le Dracula bien réel du XVe siècle au vampire romanesque de Bram Stoker. L'auteur s'est fortement inspiré, aussi, des légendes fantastiques que les familles d'Europe centrale et de l'est se plaisent à se transmettre au coin du feu. Dans son roman, l'écrivain insère régulièrement des clins d'œil à ces histoires entendues tout au long de sa vie.
Aujourd’hui encore, le vampirisme continue de faire parler. Si les 660 pages du roman de Bram Stoker ne vous suffisent pas, des agences de voyage se sont spécialisées dans le tourisme autour de Dracula, le personnage historique. Vous pouvez aller visiter la maison dans laquelle il est né, son château d'où s’est jetée sa femme, la forteresse où il a été emprisonné, la forêt dans laquelle il aurait fait empaler ses ennemis… Un dépaysement garanti à "sang pour sang" !