Le festival de l’Île de Wight, créé en 1968, connaît son apogée en 1970, lorsque près de 600.000 spectateurs se rassemblent sur ce bout de terre au sud du Royaume-Uni. Cinquante ans après, Europe 1 revient sur les différents concerts donnés pour ce qui fut, un an après Woodstock, l'un des derniers grands rendez-vous hippies. Ce mercredi, Europe 1 se penche sur la courte mais légendaire carrière de Jimi Hendrix.
Un concert parsemé d'incidents
C'est un homme à qui il ne reste que 19 jours à vivre qui monte sur scène le lundi 31 août 1970. Jimi Hendrix est l'ultime tête d’affiche sur l'Île de Wight et il est attendu comme un héros par les centaines de milliers de festivaliers. Mais son esprit est déjà ailleurs : trop de sollicitations, trop de drogues, des choix artistiques hasardeux. En surface, tout va bien mais derrière le rideau, l’homme est déprimé.
L’année d'avant, à Woodstock, il avait stupéfié le monde avec sa reprise au napalm de l’hymne américain.
Aux alentours de deux heures du matin, c’est avec une introduction "so british" que le demi-dieu de la guitare électrique se lance. Une reprise des Beatles, joyaux de la Couronne, après une relecture très personnelle de God Save The Queen.
Signe que ce festival ne s’est pas déroulé dans une ambiance très sereine, le concert de Jimi Hendrix a été parsemé d’incidents. Divers projectiles ont été lancés sur scène dont une fusée éclairante qui a brièvement mis le feu à la scène et causé quelques instants de panique chez les organisateurs. Hendrix quittera les 600.000 spectateurs sur ces mots ironiques : "Merci, je vous souhaite de la paix, de la joie, et toutes les conneries habituelles."
Un dieu de la guitare
Et pourtant, trois ans plus tôt, c’est un extraterrestre qui avait débarqué sur la planète rock. Son premier véritable album n'est sorti qu'en 1967 mais il a révolutionné à jamais la façon de jouer de la guitare en public. Avec les dents, derrière le dos, en faisant le grand écart, ou simulant une masturbation.
Les notes sortent et s'enchaînent comme par magie avant la cérémonie finale, celle du sacrifice qui l'a fait connaître du monde entier à Monterey. Ce soir-là, Hendrix estime avoir épuisé toutes les possibilités de son instrument. Il l'arrose d'essence et l'immole en plein concert, faisant jaillir le bruit jusqu'alors inconnu d'une guitare électrique en train de mourir.
Le roi des improvisations
Né en 1942 à Seattle, au nord-ouest des Etats-Unis, Johnny Allen Hendrix est un gamin méprisé, voire maltraité par ses parents. Sa mère, à moitié indienne, est alcoolique. Son père le bat. Il trouve refuge dans la musique : harmonica, ukulélé, guitare acoustique puis électrique, le tout en autodidacte. Tant pis pour l'école.
Une fois libéré de ses obligations militaires, il sera libre et musicien. D'abord à Seattle, puis en accompagnant des pointures telles que Sam Cooke, Ike And Tina Turner ou encore Little Richard. Mais ses improvisations incessantes et son sens du spectacle tapent rapidement sur les nerfs des stars en question.
Il prend donc la direction de New York et du Greenwich Village où il se fait repérer par le bassiste du célèbre groupe anglais The Animals qui lui propose de venir enregistrer en Europe. Hendrix est d'accord mais seulement s'il peut rencontrer Eric Clapton, ce qui se produit début octobre 1966.
Jimi Hendrix, première partie de Johnny Hallyday
Quelques jours plus tard, alors que le groupe constitué autour de lui commence à peine à se rôder, Jimi Hendrix, encore anonyme, joue quatre concerts en France. Et ce, en première partie de Johnny Hallyday, à Evreux, Nancy, Villerupt et à l'Olympia à Paris, le 18 octobre 1966. Il y chantera la chanson Hey Joe.
"Ce morceau, ce n'est pas nous, c'est juste une ébauche", dira Jimi Hendrix de ce titre qui grimpera jusqu'à la sixième place en Angleterre. Le pari est déjà gagné. Accompagné de Noël Redding à la basse et du formidable Mitch Mitchell à la batterie, le guitariste enregistre deux albums quasiment coup sur coup en 1967, Are You Experienced puis Axis : Bold As Love, deux immenses réussites.
Un style bien particulier
Hendrix crée son propre genre de musique, joue avec les effets et la réverbération comme personne ne l'avait jamais fait. Ses disques sont une invitation au voyage, pas toujours confortables, mais parsemés de moments de grâce. Comme sur Little Wing, une chanson où même la guitare se fait toute douce. C'est un hommage, disait-il, au festival de Monterey et aux jeunes filles qu'il y avait croisées. Little Wing, ou l'idéal hippie vu par Jimi Hendrix et son Experience.
Un artiste vénéré
Adulé, pour ne pas dire vénéré, Jimi Hendrix vit alors à 100 à l'heure. Son projet suivant est un double album, Electric Ladyland. La pochette originale anglaise met en scène une myriade de femmes nues. Elle sera censurée et hantera les rêves de toute une génération d'adolescents. Elle est aujourd'hui très recherchée.
Dernier effort du trio, Electric Ladyland contient une reprise de Bob Dylan, All Along The Watchtower, revisitée et généreusement électrifiée par Jimi Hendrix.
Numéro un aux Etats-Unis, numéro deux en France, Electric Ladyland est déjà le dernier album studio de Jimi Hendrix de son vivant. Le guitariste multiplie les collaborations sans lendemain et s'enfonce dans la drogue. Son dernier projet, Band Of Gypsys (Une Bande de Gitans) donne lieu à un enregistrement en concert. La musique se fait plus rêche, moins originale, moins inspirée aussi.
Le club des 27
Peu après son passage sur l'Île de Wight, un Jimi Hendrix désabusé confie à une journaliste danoise "ne pas savoir s'il fêtera ses 28 ans". Il évoque aussi la création d’un grand groupe mêlant blues et musique classique.
Le 18 septembre 1970, au lendemain de l’écriture de son dernier texte, intitulé "L’histoire de la vie", il est retrouvé mort dans sa chambre d'hôtel à Londres, sans doute à cause d'un mélange d'alcool et de barbituriques. Jimi Hendrix n'avait que 27 ans, comme de nombreuses stars du rock de cette génération dorée puis fracassée qui s'éteindront au même âge.
Son influence, elle, n'a jamais vacillé, aidée en cela par des enregistrements plus ou moins inédits qui continuent de sortir, comme par miracle, 50 ans après.
Retrouvez tous les autres épisodes de notre série "Le festival de l'île de Wight, 50 ans après" :
> Épisode 1 : les dernières notes des Doors de Morrison
> Épisode 2 : Mighty Baby, le talent sans la gloire
> Épisode 3 : le concert inattendu d'exilés brésiliens
> Épisode 4 : la révélation Rory Gallagher
> Épisode 5 : le tremplin de Tony Joe White
> Épisode 6 : le concert mythique de Joni Mitchell
> Épisode 7 : le second Woodstock de Ten Years After
> Épisode 8 : les Who règnent à domicile
> Épisode 9 : le réveil de Sly and the Family Stone
> Épisode 10 : Free, groupe touché par la grâce puis par le malheur
> Épisode 11 : Donovan, musicien "flower power" par excellence