Imaginez un comics, une bande dessinée américaine, qui réunit les Avengers, les Quatre Fantastiques, Spider-Man, les X-Men, bref tous les super-héros de Marvel. Incroyable mais vrai, ce comics existe. Il s’appelle Marvels et il s'agit d'une mini-série parue en 1994-1995. Unanimement encensé à sa sortie, il est ressorti en France en début d'année pour célébrer les 25 ans de l'édition originale. On ne saurait trop vous conseiller de vous jeter sur cette histoire très originale, dans laquelle le héros… n'est pas un super-héros.
Des super-héros fascinants et destructeurs
Car oui, il y a un twist dans Marvels. Si une bonne partie des super-héros du catalogue Marvel sont bien présents dans les pages du comics, ils ne sont qu’une toile de fond. Le héros, c’est un citoyen new-yorkais lambda : Phil Sheldon, un photographe de presse fasciné par les super-héros. Son histoire commence en 1939. Alors qu'il s'apprête à partir pour couvrir la guerre en Europe, Phil Sheldon assiste aux premières loges à l'apparition du tout premier super-héros : la Torche Humaine. Cet homme capable de se transformer en flamme géante fait naître chez lui une obsession pour les justiciers costumés. Et ça tombe bien, de Hulk à Iron Man en passant par les Mutants, de nouveaux héros ne cessent d'apparaître.
À travers les yeux de Phil Sheldon, on assiste ainsi à 40 ans d’histoire des États-Unis, dans un univers où les super-héros existent. C’est l'idée géniale du scénariste Kurt Busiek. Grâce à ce "héros" si banal, père de famille débordé par son travail, on observe et on questionne la nature des super-héros. D'un côté, ce sont des surhommes incroyables, fascinants, qui sauvent le monde en permanence. Mais de l'autre, chacun de leur combat engendre des dégâts colossaux, des gens meurent. Sauf que tout cela est vite oublié, au prétexte que la Terre est sauvée.
Et Phil Sheldon de se demander comment les gens peuvent continuer de vivre comme si rien de spécial n'arrivait. Comment ses voisins peuvent un jour aduler Mr. Fantastique et lui jeter des pierres le lendemain en le soupçonnant de comploter contre les États-Unis. Ainsi, Busiek ramène le regard du lecteur sur les super-héros au ras du sol et interroge l'impact des super-héros sur la société. Une réflexion quasiment jamais abordée dans les comics avant Marvels.
Pas du dessin mais de la peinture
Ce qui est intéressant, c’est que l’histoire de Marvels, agrémentée d'un épilogue écrit spécialement pour les 25 ans de l'oeuvre, n’a jamais été aussi actuelle. Les super-héros n’existent évidemment pas mais ils sont partout : au cinéma, en séries, en comics… Le monde n’a jamais été autant fasciné par les super-héros qu’aujourd’hui. Alors réfléchir un peu à cette folie, ça ne peut-être qu’une bonne chose. Car une fois passée la fascination pour les exploits de Captain America, Black Panther et Thor, que peut-on retenir des super-héros ? Leurs aventures ont-elles un sens au-delà du pur divertissement ? Voilà le genre de questions que pose Marvels entre les bulles.
Cette réflexion est rendue encore plus puissante par la qualité du dessin. Ou plutôt de la peinture. En effet, le dessinateur Alex Ross est crédité non pas au dessin, comme c'est l'usage dans les comics, mais à la peinture. Inconnu avant de travailler sur Marvels, il a privilégié un travail en couleur directe, sans passer par les traditionnels contours en noir et blanc. Le résultat, c'est un mini-tableau dans chaque case, fortement inspiré du mouvement réaliste américain des années 1950, notamment Edward Hopper. Un choix artistique singulier qui apporte une touche rétro et pour lequel Alex Ross a remporté en 1994 un des trois Prix Eisner (les Oscars de la BD) accordé à Marvels.