Même si cela peut paraître étonnant, le sucre en morceaux n’a pas toujours existé. D’abord vendu sous la forme de gros rochers, il a ensuite été découpé en petits cubes de tailles standardisées au cours du 19e siècle. Dans l'émission "Historiquement vôtre", David Castello-Lopes a expliqué les différentes étapes de cette évolution, du cônes à casser avec un pic jusqu’à l’invention d’une presse spéciale.
"Inventer le sucre en morceaux, ça sonne vraiment comme 'inventer l’eau chaude' ou 'inventer le gros bout de l’œuf' : on n’y croit pas vraiment. Et pourtant, le sucre en morceaux a bien été inventé ! Au 18e siècle, quand vous achetiez du sucre, c’était sous la forme de gros rochers coniques de plusieurs kilos. Et si vous vouliez en mettre dans le café, il fallait attaquer ce rocher avec une pioche pour en détacher un morceau, puis le casser encore avec une pince, jusqu’à temps d’avoir des morceaux de tailles gérables. C’était long, physique et peu pratique.
Juste ce qu’il faut pour une tasse de thé
A partir du 19e siècle, des marchands ont commencé à vendre du sucre déjà cassé, mais en morceaux de tailles différentes dont certains ne rentraient pas dans les tasses, c’était donc toujours aussi peu pratique. Mais tout a changé au milieu du 19e siècle en Moravie, une région passée de mains en mains, mais aujourd’hui située en République Tchèque.
Dans les années 1840, une dame appelée Juliana Rad et mariée avec Jakob, le directeur d’une raffinerie de sucre, s’est coupée en attaquant un de ces gros cônes en sucre avec un pic. Juliana Rad demande alors à son mari pourquoi il ne ferait pas des doses de sucre individuelles, dont la taille correspondrait à juste ce qu’il faut pour une tasse de thé. Jakob s’est ensuite mis au travail et a fabriqué une presse spéciale. Les premiers cubes de sucre uniformes du monde sont ainsi apparus entre 1840 et 1843.
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Popularisé grâce à Henri Tate
Mais le décollage du sucre en cubes n’est venu que 30 ans plus tard, avec Henri Tate, magnat du sucre surtout connu pour avoir donné son nom à la Tate Gallery, en Angleterre. Dans les années 1870, Henri Tate achète le brevet d’une autre méthode pour faire des cubes en morceaux qui avait été inventée par un Allemand, méthode plus fiable et moins coûteuse que celle de Jakob Rad.
A partir de là, les cubes en morceaux sont devenus la norme. En pleine époque de l’Angleterre victorienne, il y avait pour certains quelque chose d’à la fois très convenable, propre et moderne dans le fait d’avoir des cubes de sucre d’une forme si parfaite et si standardisée. Aujourd’hui, la tendance est inverse : le comble du chic pour un morceau de sucre, c’est précisément de ne pas être standardisé, d’être irrégulier, que l’on sente sur lui l’imprévisibilité de la main humaine et le chaos jamais tout à fait domptable de la nature. Dans les supermarchés d’aujourd'hui, les sucres les plus chers sont ceux qui sont comme ça."