Née à la littérature dans des conditions violentes, adorée ou détestée pour ses interventions médiatiques, Christine Angot, élue mardi à l'Académie Goncourt, a sublimé la souffrance liée à l'inceste dans une œuvre empreinte de fureur. La clé pour comprendre Christine Angot est un événement raconté plusieurs fois dans ses romans : quand elle a 13 ans, réapparaît son père, un homme jusqu'alors absent de sa vie, qui décide tardivement de lui léguer son nom.
Cet intellectuel polyglotte se révèle être un violeur qui abusera d'elle, encore adolescente, et la tiendra sous son emprise jusqu'à ses 26 ans, quand elle coupera les ponts avec lui.
L'origine de son désir d'écrire
Comme elle le raconte dans Le Voyage dans l'Est, prix Médicis en 2021, vu comme son livre le plus lumineux, le contraste frappe entre l'impunité dont a joui cet homme, qui a brillé comme fonctionnaire international, père de famille, notable de Strasbourg, et les blessures de sa fille, écorchée vive. C'est là toute l'origine de son désir d'écrire, une forme de vengeance et de sublimation. "La violence qui m'est faite à titre personnel me regarde, je me débrouille avec ça", confiait Christine Angot à l'AFP en août 2021.
Mais avec l'inceste, "on est dans l'irreprésentable. C'est pourquoi je crois si important d'écrire le réel, de le représenter, même si c'est juste dans un livre, juste le temps de la lecture", soulignait-elle.
Le tournant de son livre "L'Inceste" (1999)
Née en 1959, la jeune fille a été élevée par sa mère à Châteauroux, après l'échec du couple de ses parents, comme elle le raconte dans Un amour impossible (2015), portée à l'écran par Catherine Corsini, avec Virginie Efira. Étudiante en droit, elle est détruite par un dernier inceste, et n'exercera jamais dans ce domaine. La littérature est une vocation qu'elle découvre à un moment de désespoir. "C'est ma passion", dit-elle.
"Pour écrire un livre, il faut vivre dedans. Écrire pour que le réel trouve une forme. Quand la forme est là, c'est une grande satisfaction. Mais vivre dedans n'est pas de tout repos. Il y a une satisfaction à y parvenir, jour après jour, pour moi vivre dans un livre est la plus grande des joies. Et quand je n'arrive pas à entrer dans un livre, la vie m'intéresse beaucoup moins", poursuit la romancière.
Ses premières œuvres n'obtiennent qu'un succès d'estime. Mais avec L'Inceste en 1999, son talent éclate. "Voilà bien des choses qu'on ne profère pas, et surtout qu'on n'écrit pas, dans une société du soft, du light", s'enthousiasme la critique Josyane Savigneau dans Le Monde. Ce sera encore plus vrai avec un roman lourd des descriptions des relations sexuelles avec son père, Une semaine de vacances (2012).
Des clashs à la télévision
Raillée parfois pour des récits moins consistants comme Le Marché des amants (2008), où apparaissent le double de l'autrice et du rappeur Doc Gynéco, son compagnon de l'époque, Christine Angot se soucie peu de la critique. Austère pour donner le change, détestant se faire photographier et absente des mondanités, elle exprime l'essentiel de sa vérité dans son œuvre, qu'elle commente peu mais fait découvrir lors de lectures publiques.
Son côté éruptif s'exprime parfois dans des interventions télévisées, comme celle où elle lance à François Fillon, candidat à la présidentielle en 2017 : "Vous ne reculez devant rien ! Votre parole est malhonnête". Un clash qui retient l'attention de Laurent Ruquier qui lui confiera le rôle de chroniqueuse dans son rendez-vous hebdomadaire le samedi soir, On n'est pas couché sur France 2. Une aventure de courte durée qui générera son lot de polémiques.
"La télévision m'a intéressée, c'est sûr", affirmait Christine Angot à l'AFP. "Il y a eu des moments, je ne dirais pas à toutes les émissions, mais presque toujours, où en rentrant chez moi je me disais : là, il y a eu un petit truc. Ça me suffisait, ce sentiment".