Elle est la trentième victime des attentats de Ouagadougou, qui ont frappé un café et un hôtel vendredi dernier et la troisième victime française. Décédée lundi d'un arrêt cardiaque après avoir été blessée par balles à la terrasse du Cappuccino, Leïla Alaoui était une photographe franco-marocaine reconnue. L'identité culturelle et l'immigration occupaient une place importante dans son travail d'artiste.
Travail en immersion. Issue d'une double culture, française et marocaine, l'identité était au cœur du travail de l'artiste de 33 ans. Celle qui était aussi vidéaste s'est donc tout naturellement intéressée aux migrations, des jeunes Marocains ou des Africains qui franchissent la Méditerranée pour atteindre l'Europe aux Syriens réfugiés au Liban pour échapper à la guerre civile qui déchire leur pays. Sa méthode : un travail en immersion auprès des migrants au sein d'ONG. C'est d'ailleurs parce qu'elle était en mission pour Amnesty International qu'elle était au Burkina Faso lors des attentats.
La photo pour militer. L'artiste, qui a été scolarisée au Maroc mais qui a poursuivi ses études à New York, avait été exposée dans de nombreux endroits : aux Rencontres d'Arles en 2011, à la Biennale de Marrakech en 2012 et 2014, au New York Photo Festival en 2014, au musée d'art contemporain de Buenos Aires en 1015. Malgré cette reconnaissance, elle ne se considérait pas comme photographe, préférant parler d'elle comme "une militante qui utilise un langage artistique".
Au Maroc, de "l'autocensure". En 2014, une de ses œuvres vidéo Crossings, qui traite des migrants, avait été diffusé dans l'exposition "Le Maroc contemporain" à l'Institut du Monde arabe. Invitée sur TV5 Monde en octobre 2014, elle s'était dite "très fière" de participer à cette exposition, "une des plus grandes jamais consacrée à l'art contemporain marocain". Mais elle avait aussi souligné que les artistes du royaume chérifien étaient plus victimes d'"autocensure" que de censure de la part des autorités. "Même si on a la liberté, on n'ose pas faire le pas. Je pense qu'on pourrait aller plus loin", expliquait-elle alors.
"Les Marocains", des portraits pris sur le vif. A la Maison européenne de la photographie à Paris, sa série Les Marocains est exposée jusqu'à dimanche dans le cadre de la première Biennale des photographes du monde arabe contemporain. Dans cette oeuvre, la photographe a pris sur le vif et dans une grande simplicité quelques uns de ses compatriotes choisis dans la rue. Un moyen selon elle de poser "un regard plus naturel" sur le Maroc, loin des "représentations exotiques".
Elle avait raconté au Huffington Post Maghreb qu'il avait été difficile de convaincre les gens de faire leur portrait, "dans un pays où des personnes ont des appréhensions superstitieuses envers l’appareil photo et considèrent souvent la photographie comme une façon de voler l’âme des gens". Autre difficulté, ses sujets, intimidés par le flash, quittaient de suite son studio mobile, la laissant avec un seul cliché exploitable.