Alors que le gouvernement a annoncé le lancement d’un concours international d’architecture pour rebâtir la toiture de Notre-Dame de Paris et sa flèche tombée dans les flammes en avril dernier, une véritable querelle des anciens et des modernes oppose depuis plusieurs semaines les partisans d’une restauration à l’identique, arguant de la valeur historique du monument, et ceux qui souhaiteraient y laisser la marque du 21ème siècle. Jean-Michel Wilmotte, l’architecte de la cathédrale orthodoxe de la Sainte-Trinité à Paris, a ainsi évoqué l’idée d’une flèche en verre, comme un écho à la pyramide du Louvre. Cette vision, Jean Nouvel ne la partage pas.
Invité dimanche du Grand Rendez d’Europe 1/CNews/Les Échos, le célèbre architecte a estimé que la charge historique de Notre-Dame rendait difficile la mise en place d’un élément architectural en rupture radicale avec le style de l’édifice. "Je laisse à Jean-Michel Wilmotte ses convictions, ce ne sont pas les miennes. Mais je pense qu’ici, il faut être plus gothique que jamais, voilà !", a-t-il insisté. "La modernité n’est pas automatiquement de faire le contraire de ce qu’il y avait avant, et ce n’est pas marquer quelque chose qui est avant tout un témoignage", a-t-il ajouté. "Ce que nous a rappelé cet événement, c’est l’extraordinaire pouvoir de l’architecture comme principe d’émotion. Je crois qu’on l’a oublié, parce qu’il ne faut pas confondre architecture et construction."
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Préserver les traces de l'histoire, "une question d’éthique architecturale et culturelle"
Pour Jean Nouvel, la dimension historique de Notre-Dame rend la cathédrale porteuse d’une charge émotionnelle, constituée au fil des siècles, et que toute rupture architecturale brutale risquerait d’amoindrir. "Ce qui est important pour les grands témoignages, c’est de conserver leur pouvoir d’émotion. Évidemment, Notre-Dame de Paris est aussi un exemple de sédimentation, il y a eu différentes interventions dans le temps, mais il y a un jugement historique qui se fait aussi en fonction de la qualité de cette sédimentation et des époques qui constituent ce bâtiment", développe-t-il. "C’est une question d’éthique architecturale et culturelle, et si on considère que le témoignage est essentiel, à mon avis, on ne peut pas le toucher trop."
Lauréat en 2008 du prix Pritzker, qui récompense depuis la fin des années 1970 le plus grands architectes contemporains, Jean Nouvel a également tenu à saluer l’œuvre de son lointain prédécesseur : Eugène Viollet-le-Duc, maître d’œuvre de la restauration de Notre-Dame de Paris au 19ème siècle, et auteur de la flèche partie en fumée le 15 avril. "Le grand spécialiste de l’architecture gothique, c’est Viollet-le-Duc", assure-t-il. "Il nous a donné des choses quand même extraordinaires, dont cette flèche", poursuit Jean Nouvel, balayant ainsi les critiques de ceux qui voient dans cette flèche un élément étranger à la structure médiévale de la cathédrale, et donc négligeable. "Moi, je ne redessinerais pas la flèche", ajoute-t-il, sans en dire plus.
Jean Nouvel estime par ailleurs que l’inscription éventuelle d'un geste contemporain, comme témoignage du 21ème siècle et de l'incendie qui a ravagé l’édifice, peut très bien se faire aux abords de la cathédrale, sur le parvis par exemple, ou via des éléments de décor intérieur "comme le sol".
Peut-on rebâtir Notre-Dame en cinq ans seulement ?
Le président de la République a émis un souhait : voir Notre-Dame remise en état d’ici cinq ans. Un délai que beaucoup d’experts juges intenable, mais que le chef de l’État "assume". "Je crois que pour pouvoir faire, il faut une volonté, il faut qu’elle soit raisonnable, atteignable, mais si la volonté devient une expertise [...], rapidement on explique qu’on ne peut plus rien”, a encore martelé Emmanuel Macron vendredi, à l’occasion de la remise du Prix Pritzker 2019 à l’Élysée.
"Cinq ans, ça dépend de ce que l’on fait. La Sainte-Chapelle a été construite en sept ans, mais pour la restaurer, il en a fallu quinze. Les temps ne sont pas les mêmes", relève Jean Nouvel, toujours au micro du Grand Rendez d’Europe 1/CNews/Les Échos. "Je crois qu’en cinq ans, on peut rendre cette architecture totalement résistible, ouverte au public, mais il restera probablement des choses à faire", nuance-t-il. "Il faut aussi prendre conscience que Notre-Dame n’est pas démolie", insiste Jean Nouvel, qui rappelle que la maçonnerie a pu être préservée des flammes. "À 85%, Notre-Dame est là", même si "on a eu très peur évidemment".